Aux yeux de Freud, toutes les formes d’éthique sont résolument vouées à l’échec. Les règles qu’elles édictent sont fondamentalement inapplicables. A la fin du texte« Malaise dans la civilisation », Freud évoque cette loi éthique édictée par le « Surmoi collectif » qui s’énonce ainsi « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »[1]. Il est curieux que ce commandement ne soit pas défini par Freud comme un commandement proprement chrétien. Il est pour lui simplement humain.
Ce commandement « est à la fois la mesure de défense la plus forte contre l’agressivité et l’exemple le meilleur des procédés antipsychologiques du Surmoi collectif. Ce commandement est inapplicable, une inflation aussi grandiose de l’amour ne peut qu’abaisser sa valeur, mais non écarter le péril. »
L’opposant à cette loi morale ainsi édictée, Freud évoque une « éthique dite naturelle ». Elle « n’a rien ici à nous offrir que la satisfaction narcissique de pouvoir nous estimer meilleurs que les autres». C’est la seule qui tienne le coup, malgré la fragilité de sa base éthique réduite ici à l’amour de soi-même.
Il décrit ensuite une troisième forme d’éthique, celle qui prend appui sur la religion : «L’éthique, qui s’appuie sur la religion, agite ses promesses d’un au-delà meilleur. Tant que la vertu ne sera pas récompensée ici-bas, l’éthique prêchera dans le désert.
Freud évoque encore une autre forme d’éthique que l’on pourrait appeler sociale ou politique : « Il me semble hors de doute aussi qu’un changement réel de l’attitude des hommes vis-à-vis de la propriété sera ici plus efficace que n’importe quel commandement éthique ; mais cette vue juste des socialistes est troublée et dépouillée de toute valeur pratique par une nouvelle méconnaissance idéaliste de la nature humaine. »
Nous avons donc jusqu’à présent, quatre aspects de cette éthique et Freud n’évoque à aucun moment celle que Lacan nommera l’éthique de la psychanalyse. Est-ce parce qu’il pense qu’elle serait elle aussi sans espoir ? Les quelques dernières page de ce texte le laissent supposer :
« Quant à l’application technique de nos connaissances… à quoi servirait donc l’analyse la plus pénétrante de la névrose sociale, puisque personne n’aurait l’autorité nécessaire pour imposer à la collectivité la thérapeutique voulue ? En dépit de toutes ces difficultés, on peut s’attendre à ce qu’un jour quelqu’un s’enhardisse à entreprendre dans ce sens la pathologie des sociétés dites civilisées. »
J’ai cru, un bref instant, que Freud terminait cette approche par une note d’espoir, qu’un jour quelqu’un s’enhardirait pour entreprendre ses grandes réformes nécessaires, prenant appui sur les découvertes analytiques, mais je me suis très vite aperçue que cet espoir porte simplement sur le fait d’étudier la pathologie de ces sociétés dites civilisées, il n’y est nullement question d’en envisager les thérapeutiques possibles.
Il termine ce grand texte sur les malaises de la civilisation, malgré cette approche si lucide et si pessimiste et sans pitié de la nature humaine, par une grande envolée lyrique, un hymne à l’amour « Et maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux « puissances célestes », l’Eros éternel, tente un effort afin de s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre son adversaire non moins immortel » Des deux, qui finira par l’emporter ?
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[1] S.Freud, Malaise dans la civilisation, PUF, 1981, p.104-107.
6 Comments
Est-ce à dire que » toute morale est perversion ? « . De cet » tu aimeras ton prochain comme toi-même « , je tire tout de même une commodité : puisqu’on percoit autrui comme on se percoit soi-même, autant ne pas trop pratiquer « la double morale » : si je vole un oeuf, le danger n’est pas tellement de voler un boeuf, mais de croire que le monde entier est peuplé de voleurs ! Dans ce contexte, la morale peut servir un certain confort !
bien cordialement
Jean-francois Doucet
très intéressant article.
je me permettrais juste d’ajouter que le précepte « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est biblique, présent déjà dans le judaïsme, et n’est pas une invention chrétienne.
Bonjour Jean-François,
Tout dépend de ce que vous mettez sous ce terme de perversion.
Comme l’écrivait Freud, dans l’inconscient, nous sommes tous un bande d’assassins, mais nous nous contentons le plus souvent d’assassiner nos proches seulement en pensée et en parole mais moins souvent en action. Cela arrive. J’ai regardé hier, le film de Claude Chabrol, Landru. Cela aussi arrive en temps de guerre. Tout est alors permis.
Bonjour Arthur,
vous avez raison, l’origine en est biblique et c’est abusivement qu’on en fait un commandement Chrétien, mais comme vous le savez, le Christ est un juif qui a réussi. Il est assis à la droite de Dieu le père. Merci pour vos messages.
Dans le Coran il est un dialogue entre Dieu et les anges. Dieu annonce aux anges l’instauration d’un vicaire (certaines traductions préfèrent le mot lieutenant). La protestation « angélique » est d’une véhémence inouïe : » allons !!! (qui est rendu par l’interjection arabe A!) Voudrais-tu sur terre installé celui qui fera le mal et répandra le sang alors que nous chantons tes louanges et te glorifions » La réponse divine est énigmatique à plus d’un titre » Je sais ce que vous ne savez pas et Il apprit à l’homme les noms de toutes les choses ». Il dit alors aux anges « Si vous dites vrai [à propos de l’homme] nommez donc les choses. Ils ne nommèrent pas et reconnurent leur limites et l’homme nommât les choses. Dieu dit alors : « Ne vous ai-je pas dit que je sais ce que vous ne savez pas ! » (Coran II-30-31-32-33). A lire ce passage je comprends Freud au plus haut point.
Ce passage implicitement reconnait à l’homme sa violence intrinsèque. Dieu ne dément pas l’affirmation des anges concernant l’homme. Il octroie à l’homme le pouvoir de nommer toutes choses et c’est en cela que au-delà de sa violence est apte à être le lieu tenant de dieu. Et non pas comme cela semble être attendu pas les anges, une éthique et une morale irréprochable. Dans leur protestation, ils disent à dieu : l’homme fera le mal pendant que nous nous te glorifions et chantons tes louanges, qu’as-tu besoin de l’homme ? »
Le commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ne se trouve nulle part dans le coran. On le retrouve comme recommandation du prophète qui affirme « Une des marques de la foi est d’aimer pour ton frère ce que tu aimes pour toi ».
Un grand merci, Salim, pour cet apport précieux.
C’est en effet en nommant l’objet de leur jalousie et de leur convoitise, que les hommes peuvent cesser de se détruire.
Cette formule » d’aimer pour ton frère ce que tu aimes pour toi » ressemble certes un peu à celle d’aimer son prochain comme soi-même, mais gramaticalement elle est très différente.
Dans la seconde, il y a un objet mis en tiers entre moi et mon frère.
Ce qu’on aime c’est un objet bon pour les deux et non pas le frère lui-même. Cordialement.
Liliane.
je ne crois pas , que nous nous tennons que regarder comme objects. Mais le texte de Freud cet auhourd’hui tres actuael, (malheureuxsement), mais, l’espoir de l’amour comme toute manifestion humaine, le sexe, les sublimations, le metaphores ou le frinchement, ou le diguisse cet il qui passe.
Par contre donner toute l’autorité a le surmoi povais être un errour, mais d’oú venons nous?, nous venons d’pêche d’un songe, d’une paradisse perdue? il y Á que crée en nom de le Pere crée unes institutions, l’église, l’école, le positivisme, les prisons, le phisquiatrie, et Freud nous il qu’il y á derrierre la civilisation , la peur á la morte, ou la peru a nostres instints.
Mais, la part optimiste cet je pense que dans la personne il y à l’espoir. Comme dit Sartré; si nous cherchons la liberté cet car un jour nous avions être libres.
merci pour cette article.