Le rêve de Freud surpris dans l’escalier en tenue négligée par une servante introduit donc ce chapitre des rêves typiques avec un sous-groupe intitulé « le rêve de gêne pour cause de nudité ». Il en poursuit l’analyse dans ce chapitre. p. 282. Avant d’interpréter son rêve, Freud rapproche donc ces rêves de nudité avec gêne du conte d’Andersen « Les habits neufs de l’empereur ». Pour ma part j’ai eu un peu de mal à suivre sa démonstration avant de repérer que ce conte est lui aussi déformé comme l’est toujours le rêve . Ce qui fait un peu drôle c’est en effet que s’il pose que l’empereur est le rêveur, ce sont ceux qui regardent qui sont gênés et non pas l’empereur lui-même. C’est amusant de faire du rêve, l’escroc qui cherche à les tromper.
Il compare aussi ces rêves de nudité avec l’aventure d’Ulysse et de Nausicaa. Mais là c’est en somme un retour à l’enfance dans une période de détresse où on se retrouve tout seul sur une terre inconnue. Il se retrouve tout nu et en haillons (et donc sale) devant la belle Nausicaa qui lui apporte secours.
Ce que je trouve intéressant avec ces rêves qui sont des rêves d’exhibition, c’est de voir à l’oeuvre dans le rêve la pulsion scopique dans sa forme passive, le désir d’être vu, d’être regardé et surtout d’être admiré. Je n’avais jamais fait le lien entre cet forme de l’objet a, le regard, à la fois avec l’image narcissique dans le miroir mais aussi avec ce que Lacan qualifie de mascarade phallique comme permettant le rapport entre les sexes. Tout se joue en effet par le regard. De même c’est par le regard qu’on ne peut que constater la différence des sexes. Quand on se réfère à ce que nous en dit Freud, Il indique que le petit garçon hésite quant à cette constatation tandis que pour la fille ça ne fait pas de doute, il a cette formule « elle a vu, elle sait qu’elle ne l’a pas et elle veut l’avoir ».
Quand on pense à quel point ce désir d’exhibition est entravé on se demande comment cette image narcissique peut advenir quand même. Cela m’a fait penser au Petit Hans qui s’exhibait devant sa mère, qui voulait lui faire admirer son zizi et qui n’avait reçu pour tout commentaire que c’était dégoûtant. Dans notre enfance, les adultes pouvaient nous faire très peur en affirmant que lorsque on se regardait dans la glace, celle des armoires, le Diable pouvait en sortir. Inutile de vous dire qu’on passait au large, cela pouvait être vrai.
Quand on arrive à l’interprétation du rêve de Freud, on s’aperçoit que cette question de exhibitionnisme est liée aussi à l’apprentissage de la propreté sans doute parce qu’elle est concomitante. La vieille nourrice lui apprenait qu’on ne salit pas ainsi impunément le tapis. C’est sans doute un premier souvenir de Freud qui est répété à l’âge de sept ans quand il a uriné devant ses parents dans la chambre parentale.
La question de la honte comme affect est très présente. Je me demande pourquoi la nudité entraîne ce sentiment. Est-ce lié justement à la question de la propreté ou bien est-ce lié aux insuffisances phalliques que renvoie l’image du corps propre dans le miroir (pour les filles et pour les garçons).
Freud avait même été jusqu’à supposer que les femmes avaient inventé le tissage pour masquer leur manque phallique. C’est une petite élucubration freudienne.
Une opposition signifiante qui m’a paru intéressante peut se dégager de cette partie du texte sur les rêves de nudité, c’est celle de « exhibition » et « Inhibition ». J’ai été fureter dans le dictionnaire étymologique d’Alain Rey. Inhiber et exhiber sont donc composés des deux préfixes et du verbe latin habere, avoir, posséder, on montre ce qu’on a ! Ils semblent dans leur formation antagonistes, mais leurs sens divergent davantage au fil du temps bien qu’au départ tous les deux soient des termes de droit. Exhiber c’est produire, montrer un document puis exposer à la vue et enfin faire étalage de…
Pour l’inhibition c’est d’emblée l’énoncé d’un interdit, d’une défense. Inhibere c’est en latin » retenir » « arrêter » et il a pris le sens d’interdire en droit. ce n’est que secondairement qu’il est repris en physiologie puis en psychologie » avoir des inhibitions ».
Freud formule bien son usage p. 286 il écrit : » … dans le rêve d’exhibition le refoulement s’exprime, prend la parole. La sensation pénible du rêve est, de fait, la réaction de la seconde instance psychique contre le fait que le contenu de la scène exhibitionniste, qu’il rejette soit quand même parvenu à la représentation. Pour s’éviter cette sensation, il aurait fallu que la scène de soit pas réanimée. »
A la fin de cette longue digression sur ces rêves de nudité avec gêne, Freud arrive enfin à l’interprétation de son rêve et au souvenir d’enfance qui l’a occasionné. Je me pose une question : est-ce que c’est de fait toujours au cœur même des souvenirs d’enfance ainsi réanimés dans les rêves, que se trouvent les signifiants qui permettront l’interprétation de ce rêve. Je parierais bien que oui…
Il est bien intéressant ce rêve mais, de fait, ils le sont tous. Nous apprenons aussi beaucoup, beaucoup de choses, sur la psychanalyse de Freud lui-même. Comment a t-il pu réaliser ce tour de force de pouvoir déchiffrer ses rêves tout seul, même si c’est en écrivant à Fliess, il ne lui était quand même d’un grand secours. En même temps c’est réconfortant parce qu’on se dit qu’il arrive qu’on puisse faire une bonne analyse même avec un analyste plus ou moins minus. Autant dire qu’à l’exemple de Freud, il faut y mettre du sien.