Christelle, j’essaie de te répondre au sujet de l’objet a. Lacan indique que c’est lui qui l’a inventé. Il l’a en effet nommé ainsi. Mais c’est quand même à partir de l’objet perdu et retrouvé de Freud. Pour répondre à ta question, je pense qu’il faut tenir compte tout d’abord du fait qu’il participe des trois registres, Réel, Imaginaire et Symbolique, comme en témoigne d’ailleurs sa présence au cœur du nœud borroméen, participant donc à ses trois ronds.
Pris dans le registre du Réel, c’est l’objet perdu de la théorie freudienne mais il participe aussi au concept de Das Ding en tant que c’est l’Autre préhistorique que l’enfant appelle de ses cris.
C’est l’objet dit partiel, car à chaque pulsion correspond un objet partiel, nous retrouvons donc – l’objet oral, le sein – l’objet anal, les selles, mais aussi toute la série, merde, argent, cadeau, enfant, pénis – l’objet voix -et le regard. Ce sont tous des objets dits caduques, ils sont, si on peut dire tous chapeautés par le signifiant de cette perte, le phallus.
Du point de vue de l’imaginaire, cet objet petit a est le support du sujet dans le fantasme et il est recherché dans l’image de l’autre, celui qui va nous séduire comme contenant cet objet caché sous la forme de l’agalma, cette merveille contenu dans l’objet d’amour. Cf les objets merveilleux détenus par Socrate, sources de sa séduction, dans le discours d’Alcibiade.
Lacan indique que, pour une femme, ses objets petits a sont ses enfants. Le père est là pour tenter de les lui faire lâcher. Ce sont en effet des objets petits a qui, à plus ou moins long terme, ont surtout besoin d’indépendance, de liberté.
Mais le plus important dans cette approche de l’objet petit a, c’est celle du Symbolique. J’ai l’impression qu’elle est quand même la plus méconnue. Elle n’est pas sans rapport, cette approche, avec la phrase qui précède sur l’enfant objet a.
Le passage mérite d’être cité à la lettre. Il se trouve dans les Ecrits, p. 682, Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : « a, l’objet du désir, au point de départ où le situe notre modèle, est, dès qu’il y fonctionne… l’objet du désir. Ceci veut dire qu’objet partiel il n’est pas seulement partie, ou pièce détachée, du dispositif imaginant ici le corps, mais élément de la structure dès l’origine […] C’est ce qui lui permettra de prendre au terme vrai de l’analyse sa valeur élective de figurer dans le fantasme ce devant quoi le sujet se voit s’abolir, en se réalisant comme désir.
Et c’est là qu’il précise la fonction symbolique de l’objet a : « Pour accéder à ce point au-delà des idéaux de la personne, c’est comme objet a du désir, comme ce qu’il a été pour l’Autre dans son érection de vivant, comme le wanted ou l’unwanted de sa venue au monde, que le sujet est appelé à renaître pour savoir s’il veut ce qu’il désire… Telle est la sorte de vérité qu’avec l’invention de la psychanalyse, Freud amenait au jour. »
Il est donc question de découvrir dans l’analyse ce qu’on a été comme objet a dans le désir de ses parents. A ce sujet, j’avais travaillé il y a longtemps un texte de Winnicott qui était très éclairant. Je pense que c’est dans « Jeu et réalité ». C’était une femme qui avait manifesté le désir de faire une longue, très longue séance et l’analyste avait accédé à sa demande. C’est au cours de cette séance qu’elle avait découvert en quoi et comment elle s’était toujours conformé au désir de ses parents.
Dans le fil de ce propos, je pense à cet formule souvent reprise par les analystes « ne pas céder sur son désir ». L’important n’est-il pas avant tout de savoir ce qu’on désire par rapport à ce que nos parents ont désiré à notre sujet ? Le reste me paraît secondaire parce qu’à partir du moment où on le sait, on peut choisir.
L’objet petit a est aussi un des termes de l’algèbre lacanienne. On le retrouve aussi bien sur le graphe du désir, que dans les quatre discours et bien sûr en lien avec les formules de la sexuation. Il est même déjà présent dans le schéma optique et le schéma L.
Pour bien saisir comment et surtout pourquoi il lié à cette définition du sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant, on peut se reporter au séminaire des « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse », où Lacan a indexé la chaîne signifiante avec l’aide de la série des nombres entiers naturels, série qui part de Zéro jusqu’à l’infini. Le fait que le chiffre Zéro compte pour Un a pour effet que quelque soit donc le nombre, il en a toujours Un en Plus.
La petite cellule élémentaire de la constitution du sujet est donc celle qui prend naissance entre le S1 et le S2 mais avec ce « Un en plus » ou même « Un en trop » qui vient du zéro et provoque, par la progression de Plus Un en Plus Un, ce qu’on appelle la répétition. C’est à cette fonction du zéro élidée que Lacan rapporte l’objet perdu, tandis que cet Un en plus qui assure la progression de la chaîne symbolise cette fonction de l’objet petit a, sous la forme de l’objet à retrouver et qui ne peut jamais l’être puisqu’il est recherché devant alors qu’il est au point d’origine de la chaîne.
La chaîne signifiante est celle du discours, l’objet a est ce qui assure la progression de la chaîne signifiante de plus Un en plus Un ( c’est ce qui justifie le »Encore ») . C’est ce que Lacan appelle le ru du désir.
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