La première fois que Freud parle, tout au moins d’une façon un peu élaborée, du complexe de castration masculin, dans les « Trois essais sur la théorie de la sexualité », il le définit ainsi : « Les petits garçons ne mettent pas en doute que toutes les personnes qu’ils rencontrent ont un appareil génital semblable au leur ; il ne leur est donc pas possible de concilier l’absence de cet organe avec l’idée qu’ils se forment d’autrui. » Cette phrase des trois essais précède le titre du paragraphe intitulé « Complexe de castration et envie du pénis ». On remarquera d’emblée dans ce passage que Freud réserve le terme complexe de castration pour le garçon et l’envie du pénis pour la fille, ce n’est en effet que plus tard que cette dénomination du complexe de castration englobera celle de l’envie du pénis au titre de complexe de castration féminin.
Donc cette première définition du complexe de castration est donnée en ces termes : « les petits garçons maintiennent avec ténacité cette conviction, la défendent contre des faits contradictoires que l’observation ne tarde pas à leur révéler, et ils ne l’abandonnent souvent qu’après avoir passé par de graves luttes intérieures (complexe de castration). Leurs efforts en vue de trouver un équivalent au pénis perdu de la femme jouent un grand rôle dans la genèse de perversions multiples ».
Ainsi en ce temps de l’élaboration freudienne, ce qu’il appelle complexe de castration c’est la difficulté du petit garçon à accepter que la mère ne soit pas pourvue du même organe que le sien. » D’emblée, il note que ce n’est pas le cas de la petite fille « elle ne se refuse pas à accepter et reconnaître l’existence d’un sexe différent du sien, une fois qu’elle a aperçu l’organe génital du garçon ; elle est sujette à l’envie du pénis qui la porte au désir si important plus tard, d’être à son tour un garçon. »
Donc son approche du complexe de castration aussi bien pour la fille que pour le garçon est encore un peu succincte. Pour la fille il n’y a pas encore trace des transformations de ce désir du pénis notamment en désir d’enfant et pour le garçon ce qu’il décrit se limite au refus de la castration de l’Autre, de la mère en l’occurrence, sans prendre en compte ce qu’il nommera « angoisse de castration», c’est-à-dire crainte de perdre son propre pénis.
Quelques années plus tard en 1914, dans son texte « Pour introduire le narcissisme »[1], Freud aborde à nouveau cette question du complexe de castration en le ramenant cette fois-ci non plus à la question de la castration de l’Autre mais de la sienne propre, une castration qui met en grand danger son narcissisme : « Les perturbations auxquelles est exposé le narcissisme originaire de l’enfant, ses réactions de défense contre ces perturbations , les voies dans lesquelles il est de ce fait forcé de s’engager, voilà ce que je voudrais laisser de côté, comme une matière importante qui attend encore qu’on s’occupe de la travailler ; on peut cependant en extraire la pièce la plus importante, le « complexe de castration »( angoisse concernant le pénis chez le garçon, envie du pénis chez la fille ) et en traiter en relation avec l’intimidation sexuelle des premières années. »
Voilà donc où Freud en est de son élaboration du complexe de castration en 1914 au moment où il consacre une partie de ce texte de l’Homme aux loups à cette question sous ce titre « Erotisme anal et complexe de castration » Il m’a semblé important de replacer en effet ce chapitre de L’Homme aux loups » dans le fil de l’œuvre freudienne, pour pouvoir en mesurer toute l’importance. Ce n’est sans doute par pour rien que Lacan est allé puiser dans ce texte lui-même ce concept de « forclusion » qui lui lui a permis de spécifier ce qu’il en est de la structure de la psychose par rapport à la névrose. C’est assez dire qu’il mérite toute notre attention.
[1] In « La vie sexuelle »