Je trouve que les analystes font beaucoup plus souvent état du désir de mort à l’égard du père que de celui à l’égard de la mère. En principe, selon la loi de l’œdipe, le désir de mort de la mère est attribué plutôt aux petites filles, en fonction de leur attirance pour le père qui leur fait considérer leur mère comme une rivale. Mais la mère est aussi celle qui interdit, qui porte atteinte à leur soif de liberté.
Donc dans ce chapitre « Rêves de mort à l’égard de personnes chères », après avoir décrit le rêve de la petite faiseuses d’ange, rêve où elle transforme tous les enfants de sa famille en petits anges tous partis au ciel, tous morts, Freud décrit un autre rêve mais cette fois-ci de mort de la mère.
On peut l’appeler rêve d’une petite fille surnommée « Œil de lynx ». En fait c’est une petite fille devenue adulte et en analyse avec Freud.
Il écrit « Un jour je trouve une dame très affligée et en pleurs. Elle me dit : je ne veux plus voir les gens de ma famille, ils ne peuvent être qu’épouvantés par moi. »
Voici le texte du rêve « Un lynx ou un renard ( Luchs oder Fucks) se promène sur le toit, puis quelque chose tombe ou c’est elle qui tombe, et alors on ramène sa mère, morte, à la maison et alors elle se met à pleurer des larmes de douleur. »
Freud indique « A peine lui ai-je fais savoir que ce rêve signifie nécessairement le désir, venu de son enfance, de voir sa mère morte [ que déjà elle me livre un peu de matériau pour expliquer le rêve ».
Dans les associations du rêve, on retrouve en effet le lynx. L’œil de lynx était le surnom que lui avait donné, quand elle était enfant, un petit garçon. Ce lynx du rêve, c’est donc elle, qui tombe ou qui fait tomber du toit quelque chose.
Le second souvenir d’enfance qu’elle évoque est celui de sa mère qui avait été blessée par une tuile tombée d’un toit. « Elle avait beaucoup saigné ». L’enfant avait à l’époque 3 ans.
Dans les lignes qui suivent Freud décrit « les divers états psychiques » d’une petite fille hystérique. Il évoque à son propos de nombreux rêves qui exprimaient ses désirs de mort à l’égard de sa mère. « Tantôt elle assistait aux obsèques d’une vieille femme, tantôt elle se voyait avec sa sœur assises à table en vêtements de deuil ».
Freud décrit trois étapes de sa névrose hystérique, la première coïncide avec ce qu’il décrivait comme un délire hystérique, dans les manuscrits de sa correspondance avec Fliess, un état de confusion, où les représentations refoulées viennent en quelque sorte franchir les barrières érigées par le Moi et littéralement l’envahissent.
« Lors d’un épisode confus très furieux, par quoi la maladie commençait, la malade manifesta une aversion tout à fait particulière à l’égard de sa mère, la frappait, l’injuriait dès que sa mère s’approchait de son lit », alors qu’à l’égard de sa sœur beaucoup plus âgée qu’elle, elle était douce et gentille. Au cours d’une seconde période, avec lucidité retrouvée, elle eut un sommeil très perturbé et c’est là qu’elle manifestait dans ces rêves, les désirs de mort pour sa mère.
Enfin au cours d’une troisième période, lorsque le refoulement avait en quelque repris tous ses droits, elle développa des phobies hystériques, la crainte de la disparition de sa mère. « La phobie qui la tourmentait le plus c’était qu’il soit arrivé quelque chose à sa mère . Il fallait qu’elle rentre vite à la maison pour se convaincre que sa mère était toujours en vie ».
A la suite de cette observation clinique, il décrit un magnifique cas de névrose obsessionnelle, celle d’un homme cette fois-ci, qui avait peur de sortir dans la rue par crainte de tuer tous les passants qu’il rencontrerait. Freud nous raconte avec beaucoup d’humour comment un homme capable de pousser son père dans un ravin au cours d’une expédition en montagne serait en effet tout à fait capable d’en faire tout autant avec des étrangers. Ces désirs de meurtres de personnes chères se manifestent donc à la fois, dans les rêves et dans les symptômes. Cela peut aussi faire penser à la grande obsession de l’Homme aux rats « Si j’ai le désir de voir une femme nue, alors mon père devra mourir !» Seconde remarque, dans les deux topo cliniques de Freud, hystérie et névrose obsessionnelle, existent des mécanismes phobiques. Comme si la phobie était au cœur de toute névrose, mais comme dans toute névrose obsessionnelle existe un substratum hystérique, nous retrouvons bien cette question de la névrose en gigogne : phobie, hystérie, névrose obsessionnelle.