“ Ma vie avec le docteur Lacan”, celle de Jacques Roubaud

Il existe  un minuscule petit livre, il mesure à peine une dizaine de centimètres, mais il n’a vraiment pas besoin d’être plus grand puisque son texte ne contient tout au plus que quatre cinq phrases. Ce livre a été écrit par Jacques Roubaud. C’est à la fois un poète et un mathématicien.
Ce livre a été présenté sous un titre que je ne connaissais pas celui de biographie en oblique et il a pour titre “ Ma vie avec le docteur Lacan”. Je ne pouvais donc que me sentir concernée par cette vie-là !
Cette biographie est donc rédigée comme un compte-rendu, quelques notes jetées sur une page. Jacques Roubaud y note par exemple la similitude des prénoms entre sa fille et celle de Sylvia Bataille. Toutes deux s’appelaient en effet Laurence, mais surtout il y évoque plus que très brièvement, avec une grande sobriété, trois rencontres avec Lacan survenues à plusieurs années d’intervalle.
La première est d’ordre médical et même psychiatrique. Il écrit “ En 1961, après le suicide de mon frère, j’étais militaire,  rapatrié sanitaire du Sahara, au pavillon des isolés du Val de grâce; Le docteur Lacan accepta la responsabilité de me ma sortie et de mon retour dans mes foyers. Il me reçut une heure chez lui. Je ne me souviens que de silence.”

Au cours de la seconde rencontre qui était fictive, Jacques Roubaud avait en effet essayé de lire La lettre volée en compagnie de philippe Courrège, un mathématicien.

La troisième rencontre, selon ce qu’il en écrit, avait été provoquée par Lacan. Elle est ainsi décrite par Jacques Roubaud : “Un jour, à la fin de 1968; je reçus un coup de téléphone, je décrochais et j’entendis une voix qui me me dit “ c’est moi”. Il y eut un long silence, “Ici, Lacan”. Il a ensuite prononcé d’autres mots mais dont il n’est pas sûr “ Il faut que nous nous voyons”.

Jacques Roubaud vint le chercher rue de Lille et ils ont marché longtemps dans les rues de Paris. L’auteur de cette biographie avoue pourtant qu’Il n’a jamais su pourquoi Lacan l’avait ainsi convoqué et surtout pourquoi “il fallait qu’ils se voient” Ce signifiant « voir » n’étant pas bien sûr anodin.
Ses lecteurs ne peuvent pas le savoir non plus; On peut juste suggérer que Jacques Roubaud a ainsi laisser passer sa chance de faire une analyse avec Lacan, mais on peut aussi se demander si ce dernier n’avait pas eu tout simplement envie de parler avec ce grand poète celui qui avait écrit ces vers sur le Lombric :

“Dans la nuit parfumée aux herbes de Provence,
le lombric se réveille et bâille sous le sol
étirant ses anneaux au sein des mottes molles
il les mâche, digère et fore avec conscience ».

“ le poète vois-tu est comme un ver de terre
il laboure les mots, qui sont comme un grand champ,
où les hommes récoltent les denrées langagières,
Mais la terre s’épuise à l’effort incessant !
sans le poète lombric et l’air qu’il lui apporte
le monde étoufferait sous les paroles mortes”

Lacan avait en effet peut-être besoin d’air, lassé de ces paroles mortes de la théorie analytique, quoi qu’il en soit, en lisant cette biographie d’à peine quelques pages avec ce titre “ ma vie avec le docteur Lacan” on ne peut que penser à tous les analysants de Lacan écrivant ces autobiographies en oblique, en transversales, au travers de leur psychanalyse sous ce titre générique “ Ma vie avec le psychanalyste Jacques Lacan”. quelques-unes de ces autobiographies sont connues. Une de celle que je préfère, pour ma part, est celle écrite par Gérard Haddad qui a pour titre “ Le jour où Lacan m’a adopté”. Bien que non analysé, le simple contenu manifeste de son rêve est bien intéressant au sens propre de ce terme. Lacan y prononçait cette phrase décisive “ Vous êtes mon fils adoptif”.  Comme Gérard Haddad ne nous livre pas ce qu’il en est de son interprétation, nous ne pouvons en dire plus sur ce beau rêve, si ce n’est quand même évoquer les effets de transfert qu’il provoque en nous. Donc pour ma part, j’ai pensé à cet autre fils adoptif bien connu de la littérature latine qu’est Brutus et à la célèbre phrase de César, prononcé au moment de mourir sous les coups des conjurés “ Tu quoque, me fili”, toi aussi mon fils..

Quoi qu’il en soit, pour ne pas m’avancer plus sur ce chemin, cet ouvrage est en effet un bel hommage à la psychanalyse elle-même et à tous ses modestes ouvriers, aussi bien analysants que psychanalystes. Cet hommage aux analysants, en la personne de Gérard Haddad, n’est que justice parce qu’après tout, comme l’indiquait Lacan, c’est quand même l’analysant qui est à la tâche, la tâche de sa propre analyse. Il en est co-responsable et y compris dans le choix de son psychanalyste.

A propos de ces autobiographies en oblique, j’avoue que grâce à elles j’ai ainsi pris la tangente avec le sujet de ce podcast. En effet ce qui peut aussi les définir grâce à ce qualificatif d’oblique, on pourrait dire aussi de traviole, c’est le fait qu’elle peuvent servir de prétexte à une autobiographie de l’auteur. En effet , même s’ Il y a toujours quelques réticences à surmonter quand il s’agit de parler de soi, ce serait un beau titre plein de promesses que je pourrais vous proposer un jour “ Mes vacances avec le docteur Lacan”.

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