Au point d’acmé de la résistance
En reprenant la lecture de chacun des rêves de la fin de ce chapitre « La défiguration du rêve », J’ai été tout d’un coup frappée par l’importance en effet que Freud accorde à l’intensité de la résistance que ses énonciations mobilisent à chaque fois, résistance qui se manifeste par le désir que Freud ait tort quant à sa thèse que le rêve est la réalisation déguisée d’un désir refoulé.
Je reprend sa phrase parce qu’elle a du poids. Il vaut la peine de s’arrêter sur elle » Ces rêves (manifestant le désir que j’ai tort) se produisent régulièrement au cours de mes traitements, quand le patient se trouve face à moi en état de résistance et je peux compter, sans risque de me tromper, que je vais provoquer ce genre de rêve une fois que j’ai exposé pour la première fois au malade la théorie selon laquelle le rêve est une satisfaction de désir. Je peux d’ailleurs m’attendre à ce qu’il en aille exactement ainsi chez plus d’un lecteur de mon livre. »
C’est donc ce que ce rêve apporte comme démonstration par son contenu manifeste : « Une jeune fille qui s’est donnée beaucoup de peine pour arracher, contre la volonté de ses proches et des autorités consultées, la poursuite du traitement avec moi fait le rêve suivant : on lui interdit à la maison de continuer à venir me voir. Elle se réclame alors auprès de moi d’une promesse que je lui ai faite de la traiter y compris gratuitement en cas de nécessité, et je lui dis : en matière d’argent je ne peux user d’aucun égard particulier ».
Si on se fie au contenu manifeste de ce rêve, avant son interprétation, s’en est fini de son analyse, elle ne pourra plus la continuer, toute sa famille s’y oppose et Freud lui-même refusera de la « soigner » gratuitement. Tout le ban et l’arrière-ban de la famille est mobilisé contre la psychanalyse, le psychanalyste et surtout contre le retour du refoulé de l’analysante.
En lisant chacune de ces lignes sur la question de ce désir commun des analysants mais aussi des lecteurs de Freud, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la bien curieuse formule de Lacan, « si résistance il y a, c’est celle de l’analyste »1.
Avec ce petit rêve peut-être l’occasion s’offre-t-elle de la mettre à l’épreuve en partant donc de ce qui peut paraître une boutade : En effet, si on se fie à cette formule de Lacan, est-ce que le fait que les analysants souhaitent tellement que Freud ait tort ne démontre pas que leur résistance est celle de Freud ? Elle lui serait donc imputée.
Si on se reporte à la séance du séminaire du « Le Moi dans la théorie et dans la technique de la psychanalyse », où se trouve cette citation, on s’aperçoit que, de fait, Lacan oppose à cette notion de résistance, la notion d’ « insistance du symptôme ». Au fond la résistance imputée à l’analyste, porterait sur le fait qu’il se fixe sur la difficulté de surmonter le transfert, positif ou négatif, au lieu de s’intéresser à l’insistance du symptôme que ce même transfert révèle.
Je crois que ce qui permet de sortir de cette difficulté c’est justement la possibilité ou non pour l’analyste d’interpréter (passer de l’axe imaginaire du schéma L à son axe symbolique). C’est ce qui se passe dans ce rêve. Freud part bel et bien de cet acmé de la résistance, le désir de cette analysante qu’il ait tort mais c’est en interprétant ce désir qu’il triomphe de la résistance. S’il faut que Freud ait tort c’est pour que son frère puisse avoir « raison ».
Voici donc l’interprétation de ce rêve que Freud nous en donne : « D’où proviennent les mots qu’elle me fait dire ? Je ne lui ai naturellement jamais rien dit de semblable, mais l’un de ses frères, celui qui a justement la plus grande influence sur elle, a eu l’amabilité de tenir sur mon compte ce propos. Le rêve veut donc obtenir que le frère continue d’avoir raison et ce n’est pas seulement en rêve qu’elle veut faire en sorte que ce frère ait raison ; c’est le contenu même de sa vie et ce qui motive sa maladie ».
Voici donc comment ce petit rêve de presque rien du tout trahit et supporte toute la « chanson de geste » de sa névrose. Mais de cette chanson de geste, hélas, nous n’en saurons pas plus !
1J.Lacan, séminaire Le moi dans la théorie et dans la technique de la psychanalyse, séance du 19 mai 1955.