Il faut noter que le rêve de cette jeune femme hystérique fait partie de ces rêves que Freud a regroupés dans cette partie du chapitre « Le récent et l’anodin » dans le rêve. Il part toujours de ce récent et de cet anodin pour interpréter ces rêves.
Voici le texte du rêve « Son mari demande ne faudrait-il pas faire accorder le piano ? Elle : pas la peine, de toute façon il faut refaire les cuirs. Là encore répétition d’un événement réel du jour précédent […] Que signifie le fait qu’elle le rêve ? Elle raconte certes à propos du piano que c’est une caisse répugnante qui donne un mauvais son […] mais la clé de la solution n’est fournie qu’avec les mots pas la peine. »1
Pour ma part, je trouve l’interprétation de ce rêve magnifique. On y mesure la virtuosité de Freud dans ses repérages signifiants. Les fils suivis sont d’une part, les mots effectivement prononcés la veille « Non, ce n’est pas la peine ». Ils partent du fait que ce n’est pas la peine de faire accorder le piano puis au fait que ce n’était pas la peine qu’elle enlève sa veste car elle ne pouvait pas rester longtemps chez son amie et enfin pas la peine que Freud regarde du côté de son décolleté, car il n’y avait vraiment rien à voir ou à admirer.
Doublant ce fil de la phrase prononcée la veille, on peut passer de la caisse du piano à sa poitrine grâce à ces deux termes allemands proches « Kasten », caisse, et « Brustkasten », poitrine.
Ce fil revient ensuite vers le piano, grâce à l’équivalence des deux petits hémisphères des seins qui rappellent les deux autres hémisphères des fesses, et au fait qu’ils peuvent émettre des sons dégoûtants.
Il n’empêche que Freud a été attentif au fait qu’au cours d’une séance, elle avait fermé le bouton de sa veste qui était resté ouvert. Ainsi ce rêve est-il mis en relation avec le rêve précédent qui était une tentative de séduction de la part de Freud, puisque, dans le fantasme de son analysante, il aurait pu oublier de fermer son pantalon. Dans les deux cas cependant rien de bien tentant. Ce n’était vraiment pas la peine.
On retrouve peut-être déjà ce que Freud disait du refus ou du dégoût de la sexualité accompagnant la névrose hystérique. Ces détails donnent une idée de cette sorte de dévalorisation de l’image narcissique de cette jeune femme hystérique. Rien ne vaut la peine. Elle a grand besoin d’être restaurée par l’analyse.
A noter aussi que les mauvais sons du piano sont du registre de l’anal et on peut se demander, à ce propos, si les gaz intestinaux ne pourraient pas être une des formes de l’objet a aussi évanescent que le regard ou la voix.
Ces mauvais sons du piano font le lien entre les pets et la musique. On va aussi les retrouver dans ce texte de Freud, à propos du concours de pets dans un des romans de Zola. Dans les textes de Jones, il y a des trucs magnifiques sur les vents du père. Ce sont notamment eux qui sont responsables de la fécondation de la Vierge par l’oreille.
Dans son texte « Etude psychanalytique de l’Esprit Saint », il y décrit donc comment il est en quelque sorte la métaphore sublimée de ces vents venus de l’anus, qu’il appelle « le souffle du bas ».
Il écrit « Une étude de la philosophie physiologique grecque et hindoue en particulier, montre que le souffle avait habituellement une connotation beaucoup plus large que le concept du soi-disant « pneuma », et qu’un important constituant de ce concept […] venait d’une autre expression gazeuse, à savoir celle qui provient de l’anus. C’est ce « souffle d’en bas », ainsi qu’il est nommé dans la littérature védique, qui est l’élément fertilisant dans les diverses croyances en la création par le discours ou par le souffle ».
Ces deux articles tout à fait intéressants et très documentés se trouvent dans l’ouvrage paru chez Payot : « psychanalyse, Folklore et Religion » sous les titres « La conception de la Vierge par l’oreille » et « Etude psychanalytique de l’Esprit Saint ».
1S.Freud, L’interprétation du rêve, traduction J-P Levebvre, p. 225
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