Freud va répondre aux arguments de tous ceux qui objectent à son approche du rêve comme étant une satisfaction de désir, en avançant l’existence des rêves d’angoisse. A cela il rétorque qu’il faut tenir compte de l’existence du contenu manifeste et du contenu latent du rêve. Il écrit « il est juste qu’il existe des rêves dont le contenu manifeste est de l’espèce la plus pénible. Mais quelqu’un a-t-il jamais tenté d’interpréter ces rêves, d’en mettre au jour le contenu latent ? Or, si ce n’est pas le cas, les deux objections ne nous touchent plus ; il demeure malgré tout possible que même les rêves pénibles et les rêves d’angoisse s’avèrent après interprétation être des satisfactions de désir. »
Freud va essayer de répondre à cette première question avec l’aide d’une seconde « pourquoi les rêves de contenu indifférent, qui débouchent sur une satisfaction de désir, ne manifeste-t-il pas ce sens qui est le leur de manière explicite ? Prenons le rêve de l’injection faite à Irma […] il n’est pas du tout de nature pénible, et l’interprétation fait apparaître de manière flagrante qu’il s’agit de satisfaction de désir. Mais pourquoi alors requiert-il une interprétation? Pourquoi le rêve ne dit-il pas directement ce qu’il signifie ?
Dans l’ancienne traduction de Meyerson, nous trouvons ceci : « En fait le rêve de l’injection faite à Irma ne donnait pas au premier abord l’impression d’exaucer un souhait du rêveur. Le lecteur l’aura constaté ; je ne le savais pas moi-même avant d’en faire l’analyse. Si nous nommons ce fait la déformation dans le rêve, une seconde question se posera aussitôt : d’où provient cette déformation du rêve ? » Dans la nouvelle traduction, celle de Jean-Pierre lefebvre, un autre terme est proposé, celui de « défiguration onirique ».
En tout cas, c’est pour répondre à la question de savoir d’où provient cette déformation du rêve, que Freud nous raconte, au titre d’exemple, ce rêve de l’oncle Joseph. Le texte de ce rêve est très court mais par contre les circonstances de son apparition entraînent Freud à nous donner beaucoup de détails concernant sa vie quotidienne. Tout ce paragraphe est annoncé sous ce titre « Informations préalables ». Elles sont en effet indispensables pour comprendre le sens de ce rêve et en quoi il est bel et bien pour Freud, une satisfaction de désir. Freud la veille venait d’apprendre qu’il avait était bel et bien proposé pour être nommé Professeur extraordinaire mais il savait d’expérience que cette nomination pouvait être remise en question et ceci pour des raisons confessionnelles, à savoir pour un antisémitisme d’état. Quelques uns de ses collègues et amis juifs avaient déjà été refusés pour ces raisons.
C’est dans ce contexte que Freud rapporte ce rêve. Il a le mérite d’être très court :
« I … l’ami R. est mon oncle – j’ai une grande tendresse pour lui. Je vois devant moi, son visage légèrement modifié. Il est comme étiré en longueur, une barbe jaune l’encadre en faisant un contraste particulièrement net. »
Freud précise quand même à propos de ce rêve, qu’il est composé d’une pensée, d’un affect et d’une image. Nous ne savons pas encore quelles seront leurs fonctions respectives mais le fait que Freud les décrive mérite déjà d’être souligné. Les deux termes allemands qui leur correspondent sont « Gedanken » et « Bilden ».
Suivent alors, comme pour le rêve de l’injection à Irma, la fragmentation du rêve en ses éléments et les associations d’idées qui lui viennent à partir d’eux.
« R. est mon oncle ».
Voici donc que surgit le personnage de l’oncle Joseph, un homme à la tête faible et qui de plus a eu maille à partir avec la justice. Freud s’étonne d’avoir ainsi associé ces deux personnages. « si mon ami R. est mon oncle Joseph, j’entends par là R… est une tête faible. J’ai peine à le croire et cela m’est très désagréable . Pourtant la figure aux traits allongés et à la barbe jaune que je vois dans mon rêve le confirme. »
Freud raconte encore une autre anecdote qui donne sens à ce rapprochement entre les deux hommes. Un autre de ses collègues lui a également raconté qu’il n’avait pas pu être nommé professeur extraordinaire, en raison du fait qu’une de ses malades avait porté plainte contre lui. Ainsi se dégage le sens de ce rêve, en faisant de ces deux collègues, l’un une tête faible, et l’autre un criminel, il pourra lui, Freud, être nommé à ce titre convoité, il n’a plus rien à voir avec ses deux confrères. Voici donc ce que ce rêve réalise comme désir.
« j’ai une grande tendresse pour lui ».
Mais pour Freud l’interprétation de ce rêve n’est pas pour autant achevée. Il met alors l’accent sur l’affect qui accompagne ce rêve, cette immense tendresse de plus totalement injustifiée qu’il éprouve soudain pour cet ami mis à la place de son oncle. C’est cette partie qui assure le déguisement, la déformation de ce rêve. C’est en effet cette tendresse qui va servir non pas le désir du rêve, mais la censure.
« Je commence à deviner, écrit Freud. Cette tendresse n’appartient pas au contenu latent du rêve, aux pensées qu’il recouvre, elle leur est opposée, elle a pour rôle d’empêcher l’interprétation. C’est bien cela. Je me rappelle ma résistance à cette interprétation, combien j’ai souhaité de ne pas la faire, déclarant que ce rêve était absurde. »
C’est donc avec ce rêve que Freud commence à décrire les deux instances qui interviennent dans la formation et surtout la déformation du rêve, deux instances qui s’opposent l’une à l’autre. Il existe en effet une instance qui pose ses conditions pour autoriser l’accès à la conscience des pensées du rêve. Celles-ci sont donc contraintes d’user de ruses, pour pouvoir s’y faire admettre, s’y faire reconnaître. Freud pour pouvoir exprimer son désir d’être enfin nommé au poste de Professeur extraordinaire, en sera réduit à faire de son ami R, un demeuré aussi demeuré que son oncle Joseph. Mais même ce détour n’a pas suffit. La censure a encore exigé de lui qu’il éprouve à son égard une immense tendresse. Mais Freud ne s’en ait pas laissé compter. Il a bravé la censure et livré le secret de son rêve, celui de son désir.