C’est à la page 191 du texte qu’il commence le long commentaire de ce rêve ainsi que toutes les associations d’idées qui vont en composer la trame. C’est une démonstration en acte de la façon dont techniquement l’analyste et l’analysant s’y prennent pour découvrir le contenu latent, soit les pensées inconscientes du rêve.
Avant de commencer cette lecture, j’ai été relire le rêve princeps de L’interprétation des rêves, celui de l’injection faite à Irma, pour retrouver ce que Freud décrivait comme technique de l’interprétation (p. 100) surtout pour comparer un peu la façon dont Freud s’y prend dans ces deux rêves et également sa technique de présentation.
A propos du rêve de l’injection faite à Irma, on découvre tout de suite quelque chose qu’il va s’agir de mettre en évidence également pour le rêve des loups, c’est la référence à ce que Freud appelle « les restes diurnes », les petits événements du jour qui vont provoquer la fabrication du rêve, qui vont être en somme le prétexte du rêve, sa cause occasionnelle.
Pour le rêve de l’injection faite à Irma, Freud en donne pour raison le souci que se faisait Freud à propos de l’état de santé d’Irma et le reproche que lui en faisait son ami Otto. Pour Sergei, le reste diurne qui a été utilisé dans son rêve est sa déception de ne pas avoir eu le double de cadeaux pour Noël, alors que ce jour de Noël était aussi son jour d’anniversaire.
Reste alors à savoir comment Freud s’y prend pour déchiffrer ce qui lui est au départ totalement incompréhensible. Il se décide à faire de ce rêve une analyse détaillée.
En effet un rêve pour être analysé doit être en quelque sorte découpé, décomposé en chacun de ses éléments. Pour son rêve de l’injection faite à Irma, il suit donc le fils des associations d’idées qui partent de plusieurs éléments du rêve et qu’il inscrit en italique. Ainsi nous trouvons, pris dans le texte du rêve, mais isolé en tant que tel, les fragments suivants : « Le hall – beaucoup d’invités, nous recevons », puis plus loin, « Je reproche à Irma de n’avoir pas accepté la solution ; je luis dis : « si tu as encore des douleurs, c’est de ta faute ».
Nous retrouvons la même technique utilisée par Freud à propos de ces rêves des loups. On devine les questions successives qu’il a posées à Sergei à propos de chacun des éléments de son rêve.
1 – Pourquoi les loups sont-ils blancs ? Cela le fait penser aux moutons et à l’épidémie qui avait décimé le troupeau.
2 – Comment les loups viennent-ils sur l’arbre ?
C’est là qu’est évoqué le conte raconté par son grand-père, celui du loup à la queue coupée. L’arbre y apparaît comme un refuge pour celui qui était poursuivi par les loups.
3 – Pourquoi y a-t-il six ou sept loups ?
Là se situe la référence à plusieurs contes, celui du Petit Chaperon rouge et celui du conte des sept chevreaux mais pas seulement puisqu’il y a aussi l’histoire du tailleur.
C’est là qu’il commence donc à compter les loups. Mais Freud arrête là l’analyse de son rêve, pour préciser en quoi, ce rêve d’angoisse fut à l’origine d’une véritable phobie d’animaux.
Autrement dit, Freud met tout d’un coup tout en suspens l’interprétation de ce rêve annonçant qu’il la reprendra plus loin en d’autres circonstances, pour l’articuler donc à la phobie et surtout au fait que l’animal phobique est un substitut du père. Ce passage se trouve p.193.
Le rêve et la phobie
« L’effet de ces contes s’extériorisa chez le rêveur enfantin dans une véritable phobie d’animaux, qui ne se distinguait d’autres cas semblables que par le fait que l’animal phobique n’était pas un objet aisément accessible à la perception ( comme le cheval ou le chien) mais n’était connu que par le récit et le livre d’images.
Cet animal phobique est un substitut du père : « la peur (Angst vor) du père avait été le motif le plus fort de son entrée dans la maladie et l’attitude ambivalente à l’égard de tout substitut du père domina sa vie comme son comportement dans le traitement. »
Donc par rapport à Freud, il éprouvera, comme par rapport à son père, autant de haine que d’amour.
Les manifestations d’affection du père se manifestaient avec des signifiants oraux « je vais te manger ». On dit souvent d’un enfant qu’on le mangerait de baisers. Ce sont ces phrases qui éveillent sa peur d’être dévoré.
Le rêve et le parcours de son analyse
Ce n’est qu’au bas de cette page ( p. 193) qu’il indique « Laissons maintenant de côté tout ce qui dans cet exposé anticipe l’exploitation du rêve, et revenons à son exploitation immédiate. Je remarquerai que cette interprétation fut une tâche dont la solution s’étendit sur plusieurs années. »
A cette remarque on peut rajouter que nos trouverons plusieurs versions de ce rêve comme en témoigne sa seconde analyste, Ruth Mack Brunswick.
A propos de ce rêve également on ne peut s’empêcher de penser à tous ces rêves de début d’analyse qui inaugurent en quelque sorte l’entrée dans l’expérience de l’analyse, qui en préfigurent le tracé et qui sont pourtant, en ces débuts, totalement ininterprétables. Ainsi ces contes qui interviennent dans l’analyse de l’homme aux loups m’ont fait penser aussi au premier rêve cauchemar qui m’a décidé à commencer une analyse. J’avais en effet retrouvé dans son contenu manifeste les traces d’un conte, celui qui a pour titre « La bergère et le ramoneur ». Au moment où j’avais fait ce rêve, je n’avais pas encore lu les Etudes sur l’hystérie et le « ramonage de cheminée » d’Anna O. m’était encore inconnu, pourtant ce petit ramoneur était déjà là et depuis mon enfance accompagnant la princesse. Mais dans ce conte, il y en a surtout un qui perd sa tête :-). C’est lui le personnage principal. Dans mon souvenir c’était un Boudha chinois. J’ai été relire ce conte : j’avais oublié qu’une fois sa tête recollée, remise en place, il ne pouvait plus répondre aux questions qu’on lui posait par oui ou par non, en remuant la tête. Il était réduit au silence.
Ces rêves inauguraux des débuts d’analyse, montrent toujours la voie de ce qui devra être déchiffré de l’histoire familiale de l’analysant et donc l’histoire œdipienne de chaque sujet qui vient s’exprimer dans cette inexorable scène primitive qui est également centrale – comme on ne pouvait que s’y attendre – dans l’histoire de l’Homme aux loups. C’est en effet cette scène primitive qui structure sa névrose. A ce titre, ce texte de l’Homme aux loups est littéralement exemplaire de tout le déroulement d’une analyse.
Devinette : qui trouvera le rêve de Freud qui entre en résonnance avec la scène primitive, la sienne, avec celle de son histoire ?