Freud analyse ce rêve avec beaucoup d’humour. Il souffre depuis plusieurs jours de furoncles. Un de ces furoncles de la grosseur d’une pomme se situe à la base du scrotum. Il a tenté de calmer les douleurs en y mettant un gros cataplasme. Ces ingrédients d’origine somatique se retrouvent dans son rêve mais n’en sont pas la cause. C’est ce que Freud tente de démontrer. Il se trouve en effet dans le paragraphe « Sources somatiques du rêve » et dans le grand chapitre « Matériau et sources du rêve ».
Voici le début du texte de ce rêve : « Je monte un cheval gris, intimidé et maladroit d’abord, comme si j’étais simplement posé dessus. Je rencontre alors un confrère P. magnifiquement juché sur sa monture en costume de loden et qui me signale quelque chose ( sans doute que ma position sur le cheval n’est pas bonne). Je me trouve maintenant de plus en plus à l’aise sur ce cheval extrêmement intelligent, mon assise est confortable et je me dis que je suis parfaitement chez-moi là-haut. En guise de selle j’ai une espèce de rembourrage qui comble parfaitement l’espace entre l’encolure et la croupe du cheval… »
Freud n’est pas plus capable de travailler que de monter à cheval étant donné son état et c’est ce qui, dans son rêve, va lui servir pour nier énergiquement qu’il souffre de cet abcès et qu’il va donc devoir se réveiller sous le coup de la douleur. « Dans ce rêve je monte comme si je n’avais pas de furoncle au périnée, non, précisément parce que je ne veux pas en avoir. Ma selle, conformément à la description donnée, est l’emplâtre qui m’a permis de dormir. »
C’est le rêve qui lui a permis de continuer à dormir. Il lui dit en effet « Tu n’as pas du tout de furoncle, puisque tu montes un cheval, avec un furoncle à cet endroit là on ne peut pas faire de cheval ! ». Et ça a marché, la douleur a été anesthésiée et j’ai continué à dormir. »
Si les sources somatiques de ce rêve ont eu une utilité c’est donc celle de ne pas avoir à se réveiller mais rien des sources inconscientes du rêve n’ont été pourtant élucidées. Et c’est cette analyse que maintenant Freud poursuit avec ce personnage à l’habit en loden, l’un de ses confrères et rivaux qui a été appelé à sa place en consultation auprès de l’une de ses anciens patients. Ce dernier le toise du haut de son cheval. Là aussi la douleur a besoin d’être anesthésiée.
C’est dans ce passage de l’analyse du rêve qu’on va retrouver un joli bouquet signifiant autour du cheval et de la monture. « L’ami P. aime bien me toiser depuis son haut coursier depuis qu’il a pris mon relais auprès d’une patiente avec qui j’avais réalisé de fort belles figures (Kunststücke) dans le rêve je suis d’abord assis tangentiellement comme un cavalier de démonstration ( Kunstreiter), mais qui, comme le cavalier de l’anecdote, m’avait vraiment mené là où elle voulait ».
Alors que quelques temps avant c’était lui qui se sentait parfaitement bien chez elle, aussi bien que chez lui. Il s’y sentait parfaitement bien en selle, hélas c’est maintenant son confrère qui chevauche son intelligente patiente qui l’avait mené par le bout du nez, Freud ne chevauche plus désormais celle qui l’avait mené là où elle voulait, tout comme Itzig, le personnage de la petite anecdote juive, anecdote qu’il cite justement à propos de la rédaction de son Interprétation des rêves. Itzig est, nous dit Freud, « un cavalier du dimanche qui, quand on lui demande où il va, répond : je ne sais pas, demande à mon cheval ». Le signifiant Kuntstücke est d’ailleurs à nouveau utilisé par rapport à la deuxième partie du rêve celle où un garçon d’hôtel lui montre un billet où est inscrit « ne rien manger, ne pas travailler ».Freud indique en effet que c’est « du reste du grand art ( Kunststücke) » de pratiquer la psychothérapie » dans un tel état de fatigue.
Introduit par des souvenirs de voyage en Italie, apparaît encore un autre très beau jeu de mots, une équivoque : « Je me souviens de ce qu’étaient censées signifier, chez une patiente qui n’avait jamais été en Italie, les allusions oniriques au beau pays [ gen italien– Genitalien] ( en Italie- génitales ).
Reste donc à retrouver la façon dont chacun de ces signifiants donnent sens à ce rêve, un très beau rêve de démonstration. On y retrouve une fois encore un souvenir d’enfance, sa rivalité avec son neveu, à peine plus âgé que lui. Il avait de quoi être perturbé quant à l’ordre des générations se trouvant être l’oncle d’un enfant plus âgé que lui. On peut se poser la question de savoir par rapport à quel adulte, ils se trouvaient en rivalité, était-ce par rapport à Amalia ou par rapport à la mère de son neveu ? Elles devaient avoir toutes les deux à peu près le même âge.
Avant de quitter ce rêve de Freud bien en selle sur son cheval et désarçonné par son rival, je voudrais évoqué ce que Christelle a repéré de ce rêve à savoir qu’il peut en effet être considéré comme un rêve de contre-transfert de Freud à l’égard de sa patiente qui l’a injustement abandonné pour un autre cavalier plus prestigieux et qui le toise du haut de son cheval. Il vient en quelque sorte confirmer ce que Lucie Tower soulignait dans son texte « le contre-transfert », à savoir que ces éléments contre-transférentiels de l’analyste sont en lien avec sa propre situation oedipienne et soumis en tant que tels à la contrainte de répétition.
Ce rêve m’a beaucoup plu, je crois que c’est, entre autres raisons, l’humour de Freud, par rapport à cette situation fort inconfortable, qui rend ce rêve si agréable à travailler, et peut-être aussi le fait de découvrir un Freud si humain avec son furoncle mal placé.