Le porteur d’eau muet (toujours l’Homme aux loups)

Le porteur d’eau muet, substitut du père, tout comme Groucha l’était de sa mère

Au bas de la page 247, après ce trait long développement autour de sa phobie du papillon, Freud marque par un grand interligne le fait qu’il change de sujet, tout en étant toujours dans ce chapitre « Effets d’après-coup du temps originaire – Résolution ». Il inscrit dans ce temps originaire qu’il marque comme l’espace entre la scène primitive et la scène de séduction par Anna, la présence de ce porteur d’eau muet, comme substitut du père au même titre que Groucha avait été le substitut de la mère.

« Dans l’intervalle entre  scène originaire et séduction (un an et demi et trois ans un quart) il faut encore insérer le porteur d’eau muet, qui fut pour lui le substitut du père comme Groucha était le substitut de la mère ».

Or ce porteur d’eau muet ne nous est pas inconnu. Freud l’a déjà évoqué quelques pages avant : p. 239. C’est important de mettre ces deux passages en relation l’un avec l’autre parce qu’on s’aperçoit qu’à cette période précoce de son enfance, avant donc le rêve des loups, Sergeï avait déjà pris bonne note de ce qu’il en est de l’existence de la castration : « J’ai pu montrer dans l’analyse du cérémonial de la respiration à la vue d’estropiés, de mendiants etc.. que ce symptôme aussi renvoyait au père qui lui avait fait de la peine comme malade lors de la visite au sanatorium. L’analyse permit de suivre ce fil encore plus loin en arrière. Il y avait dans la propriété, à une époque très ancienne, probablement avant la séduction (3 ans un quart) un pauvre journalier qui avait à porter l’eau dans la maison. Il ne pouvait pas parler, disait-on, parce qu’on lui avait coupé la langue. C’était probablement un sourd-muet. Le petit l’aimait beaucoup et le plaignait du fond du cœur. Quand il fut mort, il le chercha dans le ciel. Ce fut donc le premier infirme dont il eut compassion… »

Mais le premier souvenir qui provoqua sa pitié pour le père est encore et à nouveau celui de la scène primitive. Il eut pitié de son père en raison de la disparition de son pénis au cours du coït et s’était beaucoup réjoui de sa réapparition.

A ce propos je ne sais pas si vous connaissez cette chanson de Juliette qui a pour titre La géante du vallon noir. Elle peut en effet servir de point d’articulation avec ce que Freud décrira ensuite dans les deux trois pages qui suivent de fantasme de retour au ventre maternel mais qui est en même temps un fantasme de retour à la terre-mère et donc un fantasme de mort.

« Détourne, gentil berger, tes yeux du vallon noir
Où je me tiens vautrée, un jeune saule aux lèvres
Rentre en ta bergerie tes moutons et tes chèvres
Je suis nue et j’ai soif, il fait trop chaud ce soir
D’autres qui viendront, quand s’allumera la lune,
Explorer les taillis de mes quatre toisons
Feront mon escalade comme de jeunes oisons
Glissant entre mes seins ainsi qu’entre deux dunes
Nul besoin de guitare, de bouquets ni de gants
Pour obtenir de moi des voluptés confuses
Je suis ouverte à tous, il suffit que l’on use
De mon ventre comme d’un luxurieux toboggan

{Refrain:}
Ben oui quoi, je suis la géante,
La géante du vallon noir,
Celle qui vous affole et qui hante
Dans les chaumières et les manoirs
Vos libidos ahurissantes,
Ben oui quoi, je suis la géante!

Si je les ai tous eus, je n’en regrette qu’un
Qui n’était brute épaisse ni seigneur mirifique
Mais simple entiché d’art cinématographique
Oh combien je l’aimais, le cher petit rouquin,
Je nous revois encore au sommet de la tour
Notre ultime refuge à l’abri des humains,
Il était étendu dans le creux de ma main
Et je le protégeais du lourd vol des vautours,
Il m’avait proposé de me faire un marmot
A l’issue d’une nuit choisie pour la plus longue,
Il me baisait partout et m’appelait Queen Kong
Hélas, il est tombé en répétant ce mot

{au Refrain}

Vous ne supportez pas les trop grands sentiments
Acis et Galatée mais non point Polyphème
Et puisque vous savez comme il faut que l’on aime,
Venez vous engloutir, minuscules amants,
Descendez en mes gouffres, mes avens, mes abysses,
Ô spéléos d’amour aux désirs impudents
Ignorant que je puis, d’un simple coup de dents,
Casser le fil vous liant comme sont liées les saucisses,
Jamais ne reverrez le joli vallon noir
Ni ses taillis ombreux striés du saut des lièvres
Où je me tiens vautrée pour assouvir vos fièvres,
Hâte ton pas, berger, il fait trop chaud ce soir. »

Freud a mis au pluriel ces effets d’après-coup du temps originaire. Ils sont en effet nombreux. Nous avons vu la phobie du Machaon et l’apparition de Groucha avec celui qui est son compagnon, le porteur d’eau muet à qui on avait, selon la rumeur, coupé la langue, mais ce n’est pas tout, l’énumération continue, et Freud évoque sa toute première poussée de névrose avant même celle de la phobie, que l’on peut qualifier sinon d’anorexie au moins de troubles de l’appétence. De l’appétence ou de l’appétit ? Il met de plus cet épisode en relation avec les dangers de mort. Mais c’est pour la suite…

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