Après avoir évoqué ce père castrateur, celui de sa préhistoire personnelle, comme l’appelle Freud, il y a tout un passage sur ce père castré qui accompagne le premier en totale contradiction avec lui : « Mais curieusement il existait aussi chez lui un contre-courant, dans lequel le castré était bien plutôt le père et requérait comme tel sa compassion. » Nous en sommes p. 239 du gardiner.
Il reprend alors les symptômes respiratoires dont il souffrait lorsqu’il se trouvait en présence d’estropiés, d’handicapés ou de mendiants et juifs (à cause de la circoncision). Ce sont des symptômes, écrit Freud, qui apparaissent avant sa visite du père au sanatorium, « donc avant le symptôme, qui devait bien plutôt écarter, par expiration, une identification avec les gens qu’il plaignait » et donc une identification à son père. Parmi tous ces hommes castrés il faut retenir le porteur d’eau qui devait être sourd et muet et à qui on aurait coupé la langue.
Tous ces éléments se regroupent à la suite d’un rêve et retournent à la « préhistoire », celle de la scène primitive. Il avait observé la disparition du pénis et « s’était réjoui de la réapparition de ce qu’il croyait perdu. Nous avons donc une nouvelle notion affective qui à nouveau provient de cette scène ». Cette nouvelle notion affective n’est donc plus la crainte du père mais la pitié, la compassion et surtout le refus de s’identifier à lui. Freud la commente ainsi : « L’origine narcissique de la compassion, dont témoigne le mot lui-même est d’ailleurs ici tout à fait indéniable ».
Mais je voudrai revenir maintenant sur cette contradiction Père castrateur et père castré. Il me semble en effet qu’on peut retrouver dans ce texte de Freud, même si c’est bien sûr dans un effet d’après-coup, d’une part, ce que Lacan a repéré des trois registres dans lequel intervient le père, père symbolique, père imaginaire et père réel, mais aussi ce qu’il a posé des quatre formules de la sexuation avec notamment la fonction d’exception du père, celle qui impose la règle de la castration, mais qui, même s’il doit en assurer la fonction, ne saurait coïncider pleinement avec elle, il faut qu’en quelque sorte, il soit en défaut par rapport à cette fonction. C’est exactement ce que décrit Freud à propos de l’Oedipe de l’Homme aux loups. Son père réel est bien loin d’être à la hauteur dans sa fonction de Père symbolique, du coup il laisse en grande partie la place au Père imaginaire, celui qui nous permet de fabriquer des symptômes, symptômes qui en portent la marque.
Déjà dans les Ecrits à propos de Schreber, Lacan avait repéré quelque chose de cet ordre : « Mais ce sur quoi nous voulons insister, c’est que ce n’est pas uniquement de la façon dont la mère s’accommode de la personne du père, qu’il conviendrait de s’occuper, mais du cas qu’elle fait de sa parole, disons le mot, de son autorité, autrement dit de la place qu’elle réserve au Nom-du-Père dans la promotion de la loi.
Plus loin encore la relation du père à cette loi doit-elle être considérée en elle-même, car on y trouvera la raison de ce paradoxe par quoi les effets ravageants de la figure paternelle s’observent avec une particulière fréquence dans les cas où le père a réellement la fonction de législateur ou s’en prévaut, qu’il soit en fait de ceux qui font les lois où qu’il se pose en pilier de la foi, en parangon de l’intégrité ou de la dévotion, en vertueux ou en virtuose, en servant d’une oeuvre de salut, de quelque objet ou manque d’objet qu’il y aille, de nation ou de natalité, de sauvegarde ou de salubrité, de legs ou de légalité, du pur, du pire ou de l’empire, tous idéaux qui ne lui offrent que trop d’occasions d’être en posture de démérite, d’insuffisance, voire de fraude, et pour tout dire d’exclure le Nom-du-Père de sa position dans le signifiant. Il n’en faut pas tant pour obtenir ce résultat, et nul de ceux qui pratiquent l’analyse des enfants ne niera que le mensonge de la conduite ne soit par eux perçu jusqu’au ravage. Mais qui articule que le mensonge ainsi perçu implique la référence à la fonction constituante de la parole ?
Il s’avère ainsi qu’un peu de sévérité n’est pas de trop pour donner à la plus accessible expérience son sens véridique. » p. 579 des Ecrits.
Cette remarque est intéressante parce qu’au lieu de mettre l’accent sur la responsabilité de la mère, quant au soutien qu’elle doit apporter à la métaphore paternelle, en tenant compte de la parole du père, Lacan fait porter tout d’un coup la responsabilité de la psychose, sur le père.
Il reprendra beaucoup plus tard dans son enseignement cette question avec la fonction d’exception du père : il en existe un qui fait exception à la castration et qui introduit l’universalité du tous, tous castrés, en tant qu’hommes. Mais ce qui protège en quelque sorte de la psychose, c’est le fait que ce même père ait pour symptôme, une femme, une femme qui soit la cause de son désir et qui apporte donc la preuve de sa propre castration : il est manquant, il est désirant.
Ce passage ce trouve dans la séance Du 21 janvier 75 de RSI : « Il faut que n’importe qui puisse faire exception pour que la fonction de l’exception devienne modèle. Mais la réciproque n’est pas vraie. Il ne faut pas que l’exception traîne chez n’importe qui pour constituer, de ce fait, modèle. Ceci est l’état ordinaire.
N’importe qui atteint la fonction d’exception qu’a le père. On sait avec quel résultat : celui de sa Verwerfung, ou de son rejet, dans la plupart des cas, par la filiation que le père engendre avec les résultats psychotiques que j’ai dénoncés.
Un père n’a droit au respect, sinon à l’amour, que si le dit, le dit amour, le dit respect, est, vous n’allez pas en croire vos oreilles, père-versement orienté, c’est-à-dire fait d’une femme, objet petit a qui cause son désir. Mais ce que cette femme en petit a-cueille, si je puis m’exprimer ainsi, n’a rien à voir dans la question! Ce dont elle s’occupe, c’est d’autres objets a qui sont les enfants auprès de qui le père pourtant intervient, exceptionnellement dans le bon cas, pour maintenir dans la répression, dans le juste mi-Dieu si vous me permettez, la version qui lui est propre de sa perversion, seule garantie de sa fonction de père; laquelle est la fonction, la fonction de symptôme telle que je l’ai écrite là, comme telle. Pour cela, il y suffit qu’il soit un modèle de la fonction. Voilà ce que doit être le père, en tant qu’il ne peut être qu’exception. Il ne peut être modèle de la fonction qu’à en réaliser le type. Peu importe qu’il ait des symptômes, s’il y ajoute celui de la perversion paternelle, c’est-à-dire que la cause en soit une femme qu’il se soit acquise pour lui faire des enfants et que, de ceux-ci, qu’il le veuille ou pas, il prenne soin paternel. »
C’est la lecture que j’en ai faite, il y en a peut-être d’autres et de plus ce n’est peut-être pas la bonne.