J’ai revérifié les dates, Freud a écrit Totem et tabou en 1912-1913 et L’histoire de l’Homme aux loups en 1914/1918. Donc le mythe du père de la horde primitive qui castrait tous ses fils et qui possédait à lui seul toutes les femmes a déjà été inventé par lui. Dans ces deux pages du texte p.238 et 239 de l’Homme aux loups, Freud s’y réfère.
C’est à partir de l’hallucination du doigt coupé que ce fantasme de la castration par le père est évoqué comme posant l’interdit du corps de la mère.
« Il est tout à fait indubitable que pour lui à cette époque le père devint cette personne effrayante, présentant la menace de castration. Le Dieu cruel avec qui il luttait alors, qui laisse les hommes devenir coupables pour les châtier ensuite, qui sacrifie son fils et le fils des hommes, projeta en retour son caractère sur le père, que d’autre part il cherchait à défendre contre ce Dieu. Le garçon a ici à remplir un schéma phylogénétique et y parvient, même si ses expériences personnelles ne peuvent s’accorder. Sur ce point l’hérédité l’emporta sur le vécu accidentel ; dans la préhistoire de l’humanité, ce fut certainement le père qui pratiqua la castration comme châtiment et l’atténua ensuite en circoncision. De même plus il avança dans le déroulement du processus de la névrose obsessionnelle, dans le refoulement de la sensualité, plus il dut lui devenir naturel de doter le père, le représentant réel de l’activité sensuelle, de telles mauvaises intentions.
L’identification du père avec le castrateur devint importante comme source d’une hostilité intense, inconsciente, poussée jusqu’au désir de mort et des sentiments de culpabilité qui en résultaient. En cela il se comporta toutefois normalement, c’est-à-dire comme tout névrosé qui est possédé d’un complexe d’Oedipe positif ».
A propos de ce passage plusieurs remarques peuvent être faites :
Du texte de l’Homme aux rats à celui de l’Homme aux loups, on peut mesurer les conquêtes théoriques que Freud effectue. Dans la première analyse il met surtout l’accent sur le désir de la mort du père, dans la seconde, et notamment dans ce passage il articule ce désir de mort à la crainte de la castration, tout ceci à partir de son hallucination du doigt coupé :
Le fait d’entamer avec son couteau l’écorce du noyer est posé comme étant symboliquement un coït avec la mère qu’il blesse ainsi, cet acte éveille en lui l’angoisse de castration. L’agent de cette castration ne peut être que le père. D’où le désir de se débarrasser de lui par sa mort.
La deuxième remarque porte sur ce que Freud appelle normalité dans cette formulation à savoir que c’est celle d’un névrosé qui a un Oedipe dit positif (« En cela il se comporta toutefois normalement, c’est-à-dire comme tout névrosé qui est possédé d’un complexe d’Oedipe positif »). C’est là qu’il faut reprendre les définitions que Freud donne de l’Oedipe positif et négatif ou inversé et de leur association dite « Oedipe complet ».
Pour un homme, dans l’Oedipe positif, le choix d’objet d’amour est la mère et l’objet rival le père ; Dans l’Oedipe négatif ou inversé, le choix d’objet d’amour est le père et l’objet rival la mère. Il faut donc noter que jusqu’à cette hallucination du doigt coupé, l’Homme aux loups était affecté d’un Oedipe inversé : c’est de son père qu’il désirait être aimé et en obtenir un enfant, sa mère était donc son objet rival.
A la fin de cette étape il entre donc dans le cadre de l’Oedipe complet à la fois positif et négatif. Mais avec le surgissement de la fonction de ce père castrateur, que Lacan qualifie de fonction d’exception du père, il s’inscrit dans la fonction phallique, comme un homme, encore que cette inscription ne soit pas très assurée puisque Freud la décrit comme une « tentative de percée vers la femme ».
Encore une autre remarque, le principe de non contradiction continue là aussi à fonctionner, on le retrouve à tous ces niveaux :
Non contradiction entre la forclusion et le refoulement
Entre le rejet et l’acceptation de la castration
Entre l’amour et la haine aussi bien pour la mère que pour le père
Entre l’Oedipe inversé et l’Oedipe positif
Et surtout entre le Père castrateur et le père castré.
Toutes ces composantes coexistent en lui et tentent de se concilier.