Séance du 9 février 1955
Quand on commence à lire une séance du séminaire on ne sait jamais où elle va nous entraîner. Comme je voulais un peu replacer à nouveau ce rêve de l’injections faite à Irma, tel que Lacan s’y intéresse dans ce séminaire, je me suis aperçue qu’il prend cette question du rêve d’une façon inversée par rapport à celle de Freud.
Je m’explique, Freud commence par présenter matériellement ce qu’est l’interprétation d’un rêve, avec ce rêve de l’injection faite à Irma, avant même d’avancer son schéma de l’appareil psychique dans le chapitre VII du livre.
Lacan prend le chemin inverse, dans cette première séance qu’il consacre à l’analyse de ce rêve, celle du 9 février 1956, il décrit d’abord ce qu’il en est des différents temps d’élaboration de cet appareil de l’Esquisse à la Traumdeutung et s’arrête longuement sur les difficultés qu’a rencontré Freud pour rendre compte de l’état de conscience, ce qu’il appelle le système perception conscience. Il explique par une jolie métaphore, que ces appareils ne sont que les « premiers battements d’ailes de Freud » et que ce qui ne lui permettait pas de résoudre le problème c’est le fait qu’il n’avait pas encore pris en compte la question du narcissisme.
C’est ainsi qu’il introduit à son tour et à la suite de Freud, deux autres de ses propres schémas, celui du Schéma optique, puis et surtout le Schéma L en fonction de ce narcissisme, censé résoudre cette question de la localisation de la conscience.
C’est avec ce nouveau schéma qu’il utilise donc pour la première fois, qu’il essaie d’analyser le rêve de Freud. Il lui sert à distinguer ce qu’il en est du symbolique et de l’imaginaire : L’imaginaire c’est l’axe entre le moi et le petit autre, le symbolique c’est l’axe grand A- S.
Sur l’axe imaginaire, en bleu, qui va du petit autre au moi, il représente la série de toutes ses identifications imaginaires, d’abord, celle de toutes ces femmes, Irma, Martha, Mathilde, entre autres, puis celles de tous ses rivaux, Otto, Léopold et le Pr M. C’est donc la ligne du transfert imaginaire, transfert qui se présente d’abord comme sa face de résistance. Cette dernière doit être franchie pour avoir son efficacité et donner accès au transfert symbolique. C’est ce qu’évoque cette lampe triode qui s’éteint et qui s’allume. Il faut que le courant passe. Et s’il passe c’est entre Freud et Fliess. C’est l’analyse de Freud qui se poursuit entre les deux dans cet axe symbolique.
Voici ce qu’il dit de ce transfert symbolique : « Cette conversation qui se poursuit en filigrane dans toute son existence, comme la conversation fondamentale, puisqu’en fin de compte c’est là que se réalise cette auto-analyse : dans ce dialogue où Freud concentre le maximum de son intérêt, puisque c’est par là que Freud est Freud, et que nous sommes encore là aujourd’hui à en parler. Et tout le reste est ce qui s’illumine au passage : tout le discours savant, le discours quotidien, la formule de la triméthylamine, ce qu’on sait, ce qu’on ne sait pas, tout le fatras de ce qui est là vraiment imprimé, prêt à se désinvestir, ça n’a pas en soi un énorme intérêt. Tout ce qui est là au niveau du moi…qui peut aussi bien faire obstacle ou être le signal du passage, c’est-à-dire s’illuminer au moment du passage [Cf. triode] de ce qui est en train de se constituer, c’est-à-dire ce vaste discours à Fliess qui sera ensuite toute l’œuvre de Freud, ce qui s’illumine au niveau du moi – du moi dans ses rapports avec l’inconscient, déjà avant la Traumdeutung qui va expliquer ça d’une façon tellement plus claire – nous le voyons dans ce premier petit schéma. Ce qui est inconscient est ce qui est le plus fondamental, la conversation qui se poursuit avec Fliess. »
Cette conversation qui se poursuit emprunte donc cet axe symbolique du schéma L qui va du grand Autre vers le sujet. Tout le reste est broutille.
Peut-être peut-on inscrire la formule de la Trimétylamine au point d’intersection des deux axes de ce schéma L. Mais ce n’est pas sûr.
Lacan analyse ce rêve de l’injection faite à Irma, tout au long de plusieurs séances : celles du 9 février, du 9 mars, 16 mars 1955 du séminaire « Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique analytique ».