Dans « le cours de l’analyse actuelle », p. 287, il y est de bout en bout question d’argent, des subsides donnés par la communauté analytique, puisque Freud faisait une collecte, en faveur de l’Homme aux loups, le fait que ce dernier avait caché à Freud le capital qu’il possédait sous la forme de ses bijoux, les consultations avec les dermatologues et les médecins qu’il payait ou qu’il ne payait pas. Ce point étant lié par lui, comme dans l’histoire de Dora à la puissance virile. Il s’agissait d’en avoir ou pas.
Quand il eut évoqué dans l’analyse, cette question il s’en tira par une crise de diarrhée et jugea qu’il avait suffisamment payé ce qu’il devait : « … le patient apparemment satisfait par la simple apparition de ce symptôme, ne manifesta pas autrement son intention de payer sa dette. Tout au contraire on put voir clairement que les cadeaux d’argent de Freud étaient considérés par le patient comme constituant son dû, comme des gages d’amour d’un père à son fils ».
Ainsi on voit bien que par ces cadeaux Freud maintient l’homme aux loups dans une position féminine passive vis-à-vis de lui et surtout donne pleine satisfaction à sa demande d’amour. On s’aperçoit que Ruth apprécie avec beaucoup de justesse la situation mais ne modifie pourtant en rien sa propre attitude dans cette analyse. La première question qui vient en effet à l’idée c’est de se demander pourquoi elle n’a pas mis fin à cette situation en lui demandant de payer ses séances, ne serait-ce qu’en fonction de ses moyens.
Elle aurait eu ainsi dans cette analyse un rôle décisif, celui de remettre l’Homme aux loups sur les chemins de sa virilité. Au lieu de cela elle s’enfonce dans les méandres des relations de Freud avec l’Homme aux loups, relativement à cette question de la fortune, puisque selon l’analysant, c’est à cause de Freud, qu’il avait perdu toute sa fortune et donc si maintenant c’était lui qui payait ce n’était que justice : Freud l’avait en effet empêché de partir en Russie pour la sauver.
Mais avec ces questions d’argent est évoquée de plus l’ambivalence de Sergeï par rapport à Freud : s’il se trouve dans un tel dénuement c’est de sa faute, c’est à cause de lui qu’il a perdu toute sa fortune.
C’est par le biais d’un de ses substituts, un autre professeur, le professeur X que sont mis à jour non seulement les désirs de mort mais les véritables désirs de meurtre à son égard. Or il est impossible, malgré tous les efforts de l’analyste, de faire admettre à son analysant que ce professeur X, même s’il reconnaît que c’est un substitut de Freud, il ne reconnaît pas que si l’un l’a mutilé de son nez, l’autre l’a dépossédé de sa fortune et que c’est donc à Freud qu’il en veut. Malgré tous les efforts de Ruth pour le lui faire reconnaître, ce qu’il met en avant pour se protéger de cette évidence, c’est justement l’amour paternel et l’intérêt que Freud lui porte, l’argent donné en constituant une preuve. Il n’a donc aucune raison de lui en vouloir.
En le faisant payer, peut-être aurait-elle donc mis un terme à son « délire » puisqu’elle l’aurait à son tour traité comme un « gentleman ».
Il convient de dessiner pas à pas les étapes de cette non reconnaissance de sa haine de Freud :
« … il se refusait à aborder la question de son nez ou de son attitude envers le professeur X. Il disait bien qu’il avait été chez X pendant sa première analyse, que X lui avait été recommandé par Freud [ …] et que X était évidemment – le patient le dit d’emblée – un substitut de Freud : mais impossible d’aller plus avant ».
Ruth pour faire céder cette forteresse dans laquelle s’il s’est réfugié, l’analyste emploie les grands moyens : un lundi matin, servi par les circonstances, elle lui annonce que le professeur X est mort. L’homme aux loups, allongé sur le divan se redresse et théâtralement s’écrie qu’il ne pourra plus le tuer !
C’est là le noyau de son délire : certes il ne pensait pas pour de bon à le tuer mais il pensait au moins à porter plainte contre lui. Il pensait donc sans cesse au moyen de se venger du dommage qu’il lui avait fait subir. Mais de fait il n’y avait que la mort qui aurait pu être à la hauteur du dommage subi.
Pour tenter de lui faire reconnaître que cette haine était adressée à Freud, Ruth Mack Brunswick s’y prend d’une bien curieuse façon. Elle s’attaque à lui sur le plan de la réalité et lui démontre que de fait il n’est pas si proche de Freud qu’il le dit et le pense, que par exemple il n’a pas de relations avec la famille de Freud, ce qui, par ailleurs doit avoir été son cas. Elle se maintient donc dans une relation de rivalité imaginaire avec lui dans son rapport à Freud. Elle parle à ce propos de technique : « C’est pourquoi ma technique consista à détruire par tous les moyens cette idée du patient qu’il fût le fils préféré de Freud, car il était évident que grâce à cette idée il se mettait à l’abri de sentiments d’une toute autre nature. Je lui fis toucher du doigt sa position réelle par rapport à Freud et l’absence totale ( ce que je savais par Freud lui-même être la vérité) de tous rapports sociaux ou personnels entre eux ».
C’est une vraie sauvage, cette femme. Pour ma part, je ne sais pas comment elle aurait pu s’y prendre autrement, sans doute en y introduisant du signifiant, mais je n’ai pas idée de celui qu’elle aurait pu lui murmurer, peut-être aurait-elle pu le trouver autour de ses désirs de meurtre du professeur X ou alors de sa position de « fils favori » de Freud. Ou peut-être aurait-il fallu y faire surgir une troisième mort, outre celles de ces deux professeurs, à savoir celle de son propre père, car quand on y pense de cette mort qui a eu lieu quelques années, deux ou trois ans avant le début de son analyse, Freud ne a jamais dit grand-chose. Elle n’avait pas été mise par lui au premier plan, ce qui est quand même assez étonnant, étant donné que Freud avait décrit les symptômes de l’Homme aux loups comme caractérisant une névrose obsessionnelle spontanément guérie mais avec des séquelles. C’est surprenant car par exemple pour l’observation de l’Homme aux rats, il lui avait d’emblée accordé la plus grande importance.
Liliane Fainsilber