« Du haut d’un gratte-ciel » avec l’analyste

 

Si on repart du rêve des icônes brisées, puis de celui du beau paysage de la scène primitive, si beau qu’il pourrait le peindre – montrant ainsi une possibilité de sublimation, celle la peinture, Ruth indique que dans la réalité il n’a pas encore franchi ces étapes qui étaient décrites dans les rêves. Suit donc un autre rêve mais qui ne semble pas avoir été rapporté textuellement. Je crois que c’est plutôt le récit qu’en fait Ruth M.B. Je trouve qu’il est en grande partie, en tant que tel, indéchiffrable : « le jour suivant il rapport un rêve dans lequel il est couché à ma pieds, ce qui est un retour à la passivité ». Est-ce comme un chien, un chien de berger, un loup ? Puis, en apparence lié à cette phrase, à la suite, elle indique : « il se trouve avec moi dans un gratte-ciel, il n’y a pas d’autre issue qu’une fenêtre (voir le rêve des loups primitif et aussi le rêve ci-dessus) de cette fenêtre une échelle descend vertigineusement jusqu’au sol. Pour sortir il lui faut passer par cette fenêtre. C’est à dire qu’il ne peut pas rester dedans, regardant dehors comme dans l’autre rêve, mais il doit surmonter sa peur et sortir. Il s’éveille en proie à une grande angoisse et cherchant désespérément une autre issue.

Mais la seule issue – et là c’est l’interprétation de l’analyste – serait l’acceptation de sa propre castration ; ou bien cette acceptation, ou bien il lui faut refaire le chemin jusqu’à la scène infantile, qui fut pathogénique relativement à son attitude féminine envers le père. Il se rend compte à présent de ce que ses idées de grandeur et sa peur du père et son sentiment par-dessus tout d’avoir subi de la part du père, un dommage irréparable, ne sont que des revêtements de sa passivité. Et une fois ces masques levés, la passivité elle-même qu’il ne pouvait accepter, ce qui nécessita le délire, cette passivité devint intolérable. Ce qui semble en apparence un choix entre l’acceptation et le refus d’assumer le rôle féminin n’est en réalité pas un choix du tout : le patient eût-il était capable d’assumer le rôle féminin et d’accepter pleinement sa passivité, il se serait épargné cette dernière maladie, basée sur les mécanismes de défense contre ce rôle. »

 

Je ne sais pas mais il me semble que Ruth là se contente d’interpréter en somme le délire de l’Homme aux loups par rapport à sa passivité non assumée et source d’angoisse, mais elle ne tient pas compte ainsi de la dynamique que provoque le transfert et plus spécifiquement le transfert à son égard.  Pourtant le patient lui dit, d’une part,  qu’il est couché à ses pieds, à ses pieds à et non pas aux pieds de Freud. C’est un premier point, d’autre part,  il rêve qu’il est –et à nouveau avec elle – en haut d’un gratte-ciel, il y a même la chute vertigineuse du haut d’une échelle, tout laisse donc supposer qu’il s’agit d’un rêve où il s’envoie en l’air, du haut de ce gratte-ciel, avec son analyste. Cette idée ne semble pas trop l’effleurer.

 

C’est elle qui le sauve en le faisant passer par la fenêtre : elle le met au monde, au monde du désir.

 

Au lieu de cela me demande si Ruth ne calque pas sur son histoire tout ce qu’elle a appris de Freud concernant le roc du complexe de castration. Cela vaut la peine d’en reprendre les termes :

 

Ce passage se trouve dans Analyse finie et infinie. P. 267. Résultats, Idées, problèmes, volume II. « A aucun moment du travail analytique on ne souffre davantage de sentir de manière oppressante la vanité d’efforts répétés […] que lorsqu’on veut inciter les femmes à abandonner leur envie de pénis comme irréalisable, et lorsqu’on voudrait convaincre les hommes qu’une position féminine passive envers l’homme n’a pas toujours la signification d’une castration et qu’elle est indispensable dans de nombreuses relations de l’existence. De la surcompensation arrogante de l’homme découle l’une des plus fortes résistances de transfert. L’homme ne veut pas se soumettre à un substitut paternel, ne vaut pas être son obligé, ne veut donc pas davantage accepter du médecin la guérison. »

C’est là qu’il parle du roc de la castration qu’il pose comme un fait biologique, ce roc est pour les hommes comme pour les femmes un refus de la féminité.

 

Il reprend ce thème dans un autre article, celui qui se trouve dans l’Abrégé de psychanalyse et qui a pour titre « Un exemple de travail psychanalytique »   p. 67.

 

« Quand nous demandons à n’importe quel analyste de nous dire quelle structure psychique se montre chez ses patients le plus rebelle à son influence, il ne manque pas de répondre que c’est chez la femme le désir du pénis, et, chez l’homme une attitude féminine à l’égard de son propre sexe, attitude dont la condition nécessaire serait la perte du pénis ».

 

Je pense donc que Ruth maintient l’homme aux loups dans son rapport au père, sans prendre en compte le fait qu’elle compte, elle aussi, dans cette analyse. D’une part,  elle a été mise, dans le rêve des icônes,  à la place de sa mère, mais une mère telle qu’elle lui a permis ou lui permettra de briser toutes les icônes, y compris celles de la psychanalyse. D’autre part quand il se couche dans son autre rêve à ses pieds, sans doute réoccupe-t-elle la place dans le transfert, de sa sœur Anna, celle qui avait été la première à l’initier aux jouissances sexuelles.

 

Je trouve qu’elle n’occupe pas sa place de femme dans le transfert. L’échelle vertigineuse et le gratte-ciel évoquent  en effet  un fantasme sexuel  avec l’analyste. Mais l’idée ne semble pas l’effleurer. Autrement dit il est sur la bonne voie pour se comporter comme un homme.

Et tout de suite après arrive d’ailleurs la question du choix d’une carrière. C’est important si on se souvient qu’il était atteint de très graves inhibitions qui le rendaient inapte à toute vie sociale.

 

N.B. il faudrait retrouver dans Freud tout ce qu’il dit du symbolisme de l’échelle et de l’escalier, d’autre part, de la fenêtre. Je ne sais pas si en allemand il y a une équivoque possible entre la fenêtre et le faire naître.

Le signifiant « gratte-ciel » ne semble pas avoir été exploité. A l’époque il ne devait y en avoir qu’en Amérique.

Liliane Fainsilber

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