Donc Bouvet a divisé l’analyse de Renée en deux phases séparées par un rêve décisif qui traduisait « le désir inconscient de possession phallique ».
La première phase est dite par lui « phase d’opposition ».
Dans cette partie de son texte il décrit surtout des éléments transférentiels, mais du registre de l’imaginaire : « … cette femme entendait manifestement imposer à l’analyste les conditions dans lesquelles elle acceptait d’être traitée. Notre attitude fût à la fois extrêmement ferme et empreinte d’une sympathie bienveillante. »
Selon le schéma L ; il y a en effet deux types de transfert, un transfert imaginaire qui se passe du moi au petit autre, un transfert symbolique, dans l’axe qui part du grand Autre vers le sujet. Là dans cette phase d’opposition, et notamment avec Bouvet qui lui répond de façon à la fois ferme et bienveillante nous sommes sur l’axe a a’.
Par contre il me semble que quand il repère que cette phase d’opposition était en fait la transposition de son opposition à Dieu il y a un début de changement d’axe, de passage de cet axe imaginaire du transfert à l’axe symbolique en tant que ce repérage de Bouvet lui donne en quelque sorte accès à la possibilité d’interpréter les obsessions de Renée dont certaines sont blasphématoires Dans l’une de ses obsessions elle voyait se substituant à l’hostie les organes génitaux d’un homme. Dans une autre, elle imaginait qu’elle écrasait de son talon la tête du Christ et que cette tête ressemblait à celle de l’analyste.
Donc Bouvet repère qu’elle a transféré sur lui son opposition et sa révolte contre Dieu.
(Il présente ce transfert « comme un affect ». C’est ce point qui sera à discuter).
Il semble que ce fut l’effet de ce repérage même qui fait surgir si ce n’est cette obsession elle-même au moins son récit, obsession qui la remplissait de terreur. Or cette obsession survenait quand même dans des circonstances particulières puisque c’était quand elle était très en colère contre son mari :
« Souvent quand elle avait bien extériorisé sa colère à l’égard de son mari, elle était saisie d’une pensée inattendue « et si mon mari était Dieu ? » Ainsi il y avait pour elle une analogie certaine entre l’homme avec qui elle vivait et Dieu … »
Alors Renée est bien loin d’avoir les charmes juvéniles d’Ondine, celle du roman de Jean Giraudoux, que j’ai relu, pour suivre le travail de Claire, et pourtant elles ont toutes les deux ce point en commun.
Ondine avait fait elle aussi de l’homme qu’elle aimait son Dieu. Il est vrai qu’elle ne se révoltait pas contre lui mais l’aimait de toute son âme, une âme qu’au reste elle n’avait pas, puisque c’était une ondine, une créature fabuleuse, du genre des sirènes ou des faunes. Hans dit au juge « J’accuse cette femme de trembler d’amour pour moi, de n’avoir que moi pour pensée, pour nourriture, pour Dieu, je suis le dieu de cette femme, entendez-vous.
… Vous en doutez ? Quelle est ta seule pensée Ondine ?
Toi
Quel est ton pain, quel est ton vin, Quand tu présidais ma table et que tu levais ta coupe que buvais -tu ?
Toi
Quel est ton Dieu ?
Toi.
Vous l’entendez, Juge, elle pousse l’amour au blasphème…. »
Tout ce long détour pour rappeler que quand même dans le séminaire Encore, Lacan met Dieu en tiers entre l’homme et une femme.
Il exprime ce rapprochement entre un homme et Dieu dans deux phrases que je livre à votre réflexion :
« Plus l’homme peut prêter à la femme à confusion avec Dieu, c’est-à-dire ce dont elle jouit, moins il hait, moins il est, et puisqu’après tout il n’y a pas d’amour sans haine moins il aime. Ceci est dans la séance du 13 mars Encore.
De cette phrase tarabiscotée, on peut quand même déchiffrer, que c’est l’homme qui prête à confusion avec Dieu, en tant qu’il occupe pour une femme la place de l’Autre, de l’Autre désirant.
Si il fait référence à la haine, c’est parce qu’il y fait référence à une phrase d’Empédocle « Dieu doit être le plus ignorant de tous les êtres de ne point connaître la haine ».
Il reprend ce passage le chapitre suivant sous cette forme. Il y parle de la haine qui n’y a pas été mise à sa place, et indique que c’est pour cette raison qu’il a terminé la séance précédente du séminaire par cette phrase : « On pourrait dire que plus l’homme prête à la femme de le confondre avec Dieu, c’est-à-dire ce dont elle jouit, moins il hait (parce que dieu ne connaît pas la haine), moins il est et moins dans cette affaire il aime. » Enfin je ne sais pas trop pour l’instant où m’emmènent ces pérégrinations mais déjà on peut faire deux remarques ;
Prendre son mari ou son compagnon pour Dieu, ne semble pas, au moins pour Lacan, quelque chose d’exceptionnel.
Deuxième remarque, pour Renée, ce Dieu, n’est pas un dieu de bonté mais un dieu vengeur, mais après tout n’est-ce pas le cas également du Dieu des juifs. Il a un sale caractère.
Cela nous ramène quand même à ce que raconte Freud dans Totem et tabou.
On peut que remarquer que ce mythe ne concernerait de fait que les relations des hommes au père. La seule façon dont les femmes interviennent dans ce mythe, c’est soit en tant que toutes les femmes du père qui lui appartiennent et qui sont donc toutes interdites, soit en tant que mères, mères des troisièmes fils, des fils les plus jeunes qu’elles vont aider à triompher du père, à prendre sa place.
Avec Renée, il s’en faut de peu que nous ayons un aperçu de la façon dont les femmes pourraient s’insérer dans ce mythe, par rapport à ce moment où celui qui est le père est érigé en Dieu, après avoir été tué.
Renée mettrait en quelque sorte en évidence, à rebours, ce point de franchissement où un homme, le père, le père mort, devient Dieu.
Avec Renée, il y a un retour en arrière, ce n’est plus le père qui devient Dieu, c’est au contraire Dieu qui retrouve sa nature humaine, d’ailleurs, ce n’est sans doute pas pour rien que Renée est tellement préoccupée par le personnage du Christ : comme le disent les évangiles, c’est Dieu qui s’est fait homme.
Pour Renée, Dieu s’est fait son mari et il risque fort de la punir et sévèrement pour s’être révoltée contre lui.
Dans les faits, il est très gentil avec elle et plutôt acommodant.