L’argent ne fait pas le bonheur comme dit le proverbe mais il y contribue. Il en va de même pour la psychanalyse. Il y joue son rôle au nom de la grande équation symbolique énoncée par Freud qui pose que, pour l’inconscient, les excréments, les cadeaux, l’argent, le pénis et les enfants sont des concepts qui s’échangent facilement. Nous entrons ainsi avec cet argent dans la langue de la névrose. Avec lui aussi l’analyse est mise en chantier, on passe d’emblée aux choses sérieuses.
Pour l’analyste, ce paiement par l’analysant n’est pas sans importance, ne serait-ce que parce qu’elle lui permet de gagner sa vie, mais c’est aussi la preuve, aussi bien pour lui que pour l’analysant, qu’il ne joue pas un rôle messianique. Il n’est pas là pour sauver l’humanité souffrante. Il est là pour déchiffrer des symptômes. Lacan disait des psychanalystes qu’ils étaient des praticiens du symbolique, j’aime beaucoup mieux les appeler des vrais poètes du symptôme.
Au fil du temps, au terme de ce travail, s’étant acquitté de sa dette en argent et non pas en nature, l’analysant peut ainsi s’affranchir de ce désir de l’Autre, désir de ses parents que l’analyste à en quelque sorte représenté dans le transfert.
Lacan maniait ces questions d’argent je dirais sans complexe. Dans les vieux dictionnaires on peut encore quelquefois retrouver cette expression “ avoir du foin plein ses bottes” pour dire qu’on était très riche. A la fin d’une analyse, sans conteste, les bottes de ses analysants étaient vides. Il n’y avait plus de foin.
A propos de cette façon d’agir de Lacan j’ai le souvenir d’une séance qui m’avait laissée pour le moins interloquée. Je portais ce jour-là une paire de boucles d’oreilles, des pendentifs en argent, et juste avant d’arriver au 5 rue de Lille, je les avais prudemment enlevées. Raconter cet acte était le moins que je pouvais faire. En réponse, Lacan augmenta tout aussitôt le prix de mes séances de façon fort conséquente.
J’en parlais à mes amies de cartel qui pensaient assez logiquement que ces pendentifs pouvaient être en effet considérés comme des signes extérieurs de richesse. Mais il y avait là aussi un moment essentiel de l’analyse qui s’était joué autour de cet acte.
Il suffit de penser au grand rôle qu’avait joué la circulation des bijoux dans l’analyse de Dora, entre sa mère, Madame K. et Dora elle-même pour constater à quel point ces bijoux entrent, au titre de cadeaux, dans la grande équation symbolique décrite par Freud, équation qui donne donc un brutal accès à ce qui fait la spécificité du complexe de castration féminin. }
On parle en effet toujours des bijoux de famille dont les hommes sont les porteurs, mais dans les faits, les femmes aussi portent des bijoux. Ils leur servent même d’ornements, ce sont des attributs qui ont pour fonction d’exalter leur beauté. Cela peut donc faire équivoque et ce transfert des bijoux des hommes aux femmes peut ne pas se faire sans quelque culpabilité. Il y aurait une façon pleine de ressources d’aborder la question de la sexualité féminine non pas seulement à partir de la lettre volée mais aussi des bijoux volés. Quoiqu’il en soit pour en rester à la question de la fonction du paiement c’est une façon de s’acquitter de sa dette et d’alléger la culpabilité si ce n’est de la faire disparaître et donc de s’attribuer, pour une femme, le droit de porter ces bijoux je dirais en toute légitimité
S’acquitter de sa dette en payant, c’est la théorie, mais en pratique encore faut-il que ce soit possible pour ceux qui souhaitent faire une analyse, malgré leur absence ou leur relative absence de fortune et c’est bien là aussi qu’on entre dans les difficultés de la clinique analytique à propos de l’argent. Comment, pour l’analyste, agir avec justesse, ni trop ni trop peu quant au prix des séances ?
Un de mes amis analyste m’avait raconté qu’il avait travaillé pendant des années avec une femme qui payait ses séances avec des tableaux qu’elle peignait avant qu’elle puisse le payer avec de l’argent.
Je me souviens également d’une autre anecdote qui démontre la difficulté que l’on peut avoir à manier de façon juste, sans faire trop d’erreur, cette question de l’argent .
Une de mes analysantes m’avait brusquement quitté en cours d’analyse, sans doute non sans quelque obscure raison non élucidée, mais elle était revenue me voir quelques années après pour me dire dans l’après-coup, l’erreur que j’avais commise, grave erreur puisqu’elle avait provoqué de fait l’interruption de l’analyse. Elle était donc revenue pour me raconter que j’étais trop gentille avec elle et qu’elle ne pouvait donc pas me dire tout le mal qu’elle pensait de moi.
Mauss pour décrire le système des échanges entre plusieurs groupes humains, utilise le verbe allemand fort équivoque Revenchieren qui veut dire littéralement rendre la pareille, par exemple rendre une invitation ou un cadeau, mais, aussi bien, prendre sa revanche. Mon analysante qui ne me payait pas assez ne pouvait pas me rendre, comme on dit, la monnaie de ma pièce, se venger de moi.
Payer et suffisamment permet à l’analysant de pouvoir exprimer sans trop de culpabilité le transfert négatif et endigue le transfert positif, les sentiments amoureux de l’analysant pour l’analyste.
Ces questions d’argent que l’analyste doit résoudre sont de la petite clinique analytique qui mettent à l’épreuve les talents du psychanalyste. Rien d’étonnant à cela car pour lui aussi elle mobilise toutes les composantes du complexe de castration.
J’ai omis de vous donner le titre du livre de Gérard Haddad. C’est le jour où Lacan m’a adopté. C’est un beau livre de psychanalyse et je vous recommande sa lecture.