Je reprends comment dans ce chapitre « Effets de la scène originaire _Résolution », (p. 250 et 251) l’analyse de ce symptôme selon lequel au moment de la défécation, après un clystère qui lui était administré par un homme, il ressentait comme un voile qui se déchirait et il avait l’impression qu’il revenait à la vie.
Ce fantasme de renaissance est en fait une transformation du désir oedipien d’être aimé du père comme une femme et d’en recevoir un enfant. Elle satisfait donc son fantasme homosexuel d’être aimé du père. Ce fantasme de renaissance et de retour au ventre maternel est donc à la fois un fantasme de grossesse, un fantasme de guérison par transfert dans la cure ( ce n’est que s’il peut être aimé du père comme une femme qu’il pourra guérir de sa névrose). Mais on peut aussi le considérer comme un fantasme de sauvetage, qui regroupe en lui-même toutes ces composantes.
Il l’interprète ainsi « Ce qui est représenté par la plainte et par l’exception peut facilement se réunir en une seule unité, qui révèle alors tout son sens. Il souhaite faire retour dans le sein maternel, non pour être ensuite simplement remis au monde, mais pour être rencontré par le père lors du coït, recevoir de lui la satisfaction de lui donner un enfant ».
Mais Freud d’une certaine façon le généralise aussi, tout comme le fera Lacan des années après : « Je pense que cet exemple tombe aussi une lumière sur le sens et l’origine du fantasme du corps maternel aussi bien que du fantasme de renaissance. Le premier est fréquemment issu, comme dans notre cas, de l’attachement au père. On souhaite être dans le corps de la mère, pour se substituer à elle dans le coït, prendre sa place auprès du père. [ ce qui précède est le fantasme du corps maternel ] Le fantasme de renaissance est sans doute régulièrement une atténuation, pour ainsi dire un euphémisme, pour le fantasme de rapport incestueux avec la mère, une abréviation anagogique de celui-ci pour utiliser l’expression de Silberer. On désire revenir à la situation où on se trouvait dans les organes génitaux de la mère, en quoi l’homme s’identifie à son pénis, se fait représenter par lui. »
Par ce fantasme de renaissance on ne peut représenter mieux, plus explicitement ce que Lacan nomme désir d’être le phallus de la mère, d’être ce qui lui manque.
Ce qui est à remarquer c’est le fait qu’à partir de ce symptôme du voile, partant de ce cas singulier de l’Homme aux loups, Freud généralise en quelque sorte ces fantasmes de renaissance et de retour au ventre maternel tels qu’ils sont remis en scène dans la cure, donc dans le transfert, sous la forme d’un fantasme de guérison. Fantasme de guérison qui est de fait un fantasme de sauvetage par l’analyste et donc également un fantasme de grossesse.
C’est là que vous pouvez vous reporter à ce que dit Lacan des trois modes d’instauration de la fonction paternelle : pour le sujet dit normal, elle se fait par un conflit imaginaire, pour le névrosé, par une grossesse dite symbolique (et Lacan se réfère à son propos à ces rites bien connus de la couvade). Et enfin par une grossesse imaginaire, dans la psychose. Lacan compare ces deux types de grossesse, en décrivant le fantasme de grossesse d’un homme hystérique, celui qui est appelé le conducteur de tramway, et le grand délire de grossesse du Président Schreber, délire au cours duquel Dieu lui permettra d’enfanter des milliers d’enfants schrébériens qui repeupleront la terre entière.
Dans l’après-coup, nous pouvons retrouver ce fantasme de retour au ventre maternel dans l’analyse de Dora mais il revêt une forme singulière, celui d’une exploration anatomique. Il s’exprime dans le second rêve de Dora qui commence ainsi « Je pénètre dans une forêt profonde… ». Mais on peut dire aussi que le fantasme de sauvetage par le père se trouve mis en scène dans le premier rêve. Il exprime donc là aussi le désir de Dora d’avoir un enfant du père.
Le fantasme de retour au ventre maternel de l’Homme aux rats est plus explicite. Il se trouve p. 231du journal de cette analyse : « Quelque chose sur la préhistoire de l’idée de rat, qu’il a toujours considéré comme s’y rapportant. Quelques mois avant la formation de cette idée, il avait rencontré dans la rue une femme qu’il identifia tout de suite comme une prostituée ou, du moins, comme une personne qui avait des rapports sexuels avec l’homme qui l’accompagnait. Son sourire particulier éveilla en lui l’idée bizarre que sa cousine était dans son corps et que ses parties génitales étaient placées derrière celles de la femme de telle sorte qu’elle retirait quelque profit de chaque coït. Ensuite sa cousine qui était à l’intérieur de cette femme, s’enfla de telle sorte qu’elle fit éclater cette personne. » On peut en déduire que l’Homme aux rats, identifié à sa cousine, profitait ainsi, lui aussi de chaque coït entre cet homme et la prostituée. De même grossit-il au point de faire éclater l’enveloppe que cette femme constituait.
On ne peut pas en dire plus car Freud ne pousse pas plus loin l’interprétation de ce fantasme qui est pourtant décrit comme point d’origine de sa grande obsession des rats, point d’origine hystérique.
Cependant on retrouve le fantasme de grossesse qui est sa variante dans l’interprétation de l’obsession des rats : les rats qui entrent par l’anus, sont des enfants qui en sortent.
On retrouve donc mettant en scène les mêmes ingrédients, fantasme de sauvetage et de guérison par l’analyste mais aussi le double fantasme, celui concernant le père, fantasme de retour au ventre maternel et de grossesse, celui concernant la mère, fantasme de renaissance, qui exprime à la fois et le désir d’être son enfant-phallus, et le désir de lui faire un enfant. Toutes les composantes oedipiennes, celle de l’Œdipe inversé et celle de l’Œdipe positif « normal » se retrouvent donc exprimées par ces fantasmes. Ce qui est important pour la technique analytique c’est le fait qu’ils soient remis en scène dans l’analyse, par un fantasme de guérison par l’analyste. C’est important parce que cela met en jeu la question de la guérison de la névrose en référence à ce fantasme de guérison. De ce fait même, on ne peut que souligner ce paradoxe : c’est par l’abandon du fantasme de guérison de l’analyste et pas seulement de celui de l’analysant d’être guéri par l’analyste qu’on pourrait parler de guérison de la névrose. C’est alors d’une radicale Versagung dont il s’agirait en tant que promesse non tenue de la part de l’analyste et ne devant jamais l’être.