Voici un petit topo pour savoir où nous en sommes de cette lecture (supplément à l’histoire d’une névrose infantile) . Nous abordons le chapitre V intitulé : « Le diagnostic » c’est là que va être abordée par l’analyste la question de la psychose de l’Homme aux loups, de sa « paranoïa à forme hypocondriaque ». Les termes utilisés par elle ne sont pas des termes analytiques mais des termes psychiatriques, termes qui au demeurant ne semble jamais avoir été utilisés par Freud (mais c’est à vérifier).
Mais je reprends le plan d’ensemble de ce texte qui a donc pour titre « Supplément à l’histoire d’une névrose infantile de Freud » Il est de 1928.
I –Description de la maladie actuelle
II – Ce qui se passa de 1920 à 1923
III – Historique de la maladie actuelle
IV – Le cours de l’analyse actuelle. C’est là que nous avons repéré toute la série des rêves avec parmi eux le rêve des icônes brisées et le rêve du gratte-ciel.
V – Le diagnostic. C’est là où nous en sommes. Page 302 du gardiner.
Viendront ensuite :
VI – Les mécanismes de la psychose
VII – Les problèmes posés par le cas
Nous en sommes donc à la page 302 de ce texte où nous abordons ce nouveau chapitre sur le « diagnostic ». Pour elle ce diagnostic ne lui fait pas question « Le diagnostic de paranoïa ne semble pas exiger beaucoup plus de preuves à l’appui que celles fournies par l’histoire du cas lui-même. Le tableau clinique est typique de ces cas connus sous le nom de paranoïa à forme hypocondriaque. L’hypocondrie vraie n’est pas une névrose : elle est bien plutôt apparentée aux psychoses. Quand on se sert de ce terme dans notre sens, ce n’est pas pour désigner les cas où une angoisse relative à la santé générale constitue le symptôme principal, ainsi que dans les névroses d’angoisse ; il ne désigne pas davantage la même chose que la neurasthénie. L’hypocondrie présente un tableau caractéristique, le malade s’y montre excessivement préoccupé d’un seul et quelquefois plusieurs de ses organes, qu’il pense avoir subi un dommage ou être affecté d’un mal. Les symptômes relatifs à la tête et qui se rencontrent si fréquemment dans la schizophrénie débutante sont un exemple de ce type d’hypocondrie ».
C’est donc sur ce symptôme de l’hypocondrie que l’analyste prend appui pour poser son diagnostic de psychose. De fait elle relie cette hypocondrie aux idées de persécution. Et là ce qu’elle décrit reprend le fil de l’analyse de l’Homme aux loups. C’est la partie la plus importante qui vient en quelque sorte apporter un démenti au diagnostic qu’elle vient d’énoncer. Page 303, elle résume en quelque sorte ces idées de persécution par rapport aux médecins, eux dentistes et aux psychanalystes, son principal persécuteur étant Freud lui-même qui lui avait fait perdre toute sa fortune. Mais le plus important c’est qu’elle relie cet épisode délirant à sa névrose infantile avec le conte du Petit tailleur. Elle rajoute en effet les tailleurs, qui ne lui donnent jamais satisfaction, tout comme les médecins, les dentistes et les psychanalystes, à la série de ses persécuteurs. Et c’est là qu’on voit à quel point, si c’est une mauvaise théoricienne de la psychose, c’est un très bonne clinicienne et le chapitre précédent, avec toute la série des rêves nous l’a prouvé.
Je reprends ce passage dans le texte : « Aussi, bien que la forme en soit hypocondriaque, le contenu entier de la psychose est de l’ordre de la persécution. Notre patient soutenait qu’un dommage intentionnel avait été fait à son nez par quelqu’un qui lui en voulait[…] De fait l’Homme aux loups manifestait un talent particulier pour se mettre dans des situations se prêtant ensuite à merveille à ses sentiments de méfiance envers les autres. A douze ans, il avait fait un usage tellement excessif du médicament ordonné pour son catarrhe nasal qu’il s’était abîmé toute la peau du visage : il avait alors accusé le médecin de lui avoir prescrit un baume « trop fort ». Lorsqu’il eut une gonorrhée, il ne se contenta pas du traitement doux de son propre médecin et alla en trouver un autre, qui lui fit une irrigation « trop forte ».
Il avait la même attitude avec les dentistes. Et il lui arrivait toujours avec eux aussi des mésaventures : l’un d’eux lui avait arraché une dent saine au lieu de la dent cariée.
A cela Freud donnait cette explication (il l’avait indiqué à Ruth) : « … le comportement du patient à ce moment à l’égard des dentistes constitue une réplique de son comportement antérieur vis-à-vis des tailleurs : il suppliait ceux-ci de bien travailler pour lui, il leur donnait d’énormes pourboires et n’était jamais satisfait de leur travail […] Je ferais observer que le tailleur (Schneider) non seulement figure d’une certaine façon tout à fait générale le castrateur mais que de plus l’histoire infantile de notre patient l’avait tout spécialement prédisposé à faire ce choix. On se souvient en effet que le rêve aux loups infantile est en partie basé sur le conte rapporté par le grand-père, où la tailleur arrache la queue du loup ».
On ne peut qu’admirer la grande cohérence de cette analyse explicitée à partir de ce conte du petit tailleur, de ce petit tailleur castrateur qui se trouve être le premier persécuteur de la série avec à sa suite, les dermatologues, les dentistes et les psychanalystes. Parmi eux, le principal persécuteur est le docteur X mais comme le souligne Ruth M.B. il est le substitut évident de Freud. Cependant cette persécution venant de Freud est en partie escamotée : « Le patient rendait Freud responsable de la perte de sa fortune en Russie mais il riait lui-même de l’idée que le conseil donné par Freud eut pu être intentionnellement malveillant ».
En attendant c’est bel et bien Freud qui l’a castré de sa fortune et à donc repris le rôle du tailleur, du schneider de son enfance.
En attendant il n’y a pas plus de psychose que de beurre en broche et on ne peut qu’admirer l’admirable cohérence de sa névrose centrée autour de ce conte du petit tailleur. Ceci étant posé, voici comment Ruth M.B. termine ce chapitre qui pose le diagnostic de paranoïa à forme hypocondriaque. Elle avance un argument en 9 points. Car elle est très méthodique. Le moins qu’on puisse dire c’est quelle n’est pas très convaincante :
1- le délire hypocondriaque
2- Le délire de persécution
3- La régression au narcissisme telle qu’elle apparaît dans les idées délirantes de grandeur.
4- L’absence d’hallucinations coexistant avec la présence d’idées délirantes
5- De bénignes idées de relations
6- L’absence de délabrement mental
7- Le changement de caractère
8- Le caractère mono-symptomatique de la psychose. Le patient sauf sur l’article de son nez était absolument normal. Mais la seule mention de cet organe le faisait agir comme un aliéné.
9- L’extase éprouvée par le patient au moment où X lui enleva du nez la glande sébacée n’est de fait pas typiquement psychotique, mais essentiellement d’ordre non-névrotique. Un névrosé peut désirer et craindre la castration mais il ne l’accueille pas à bras ouverts.
De toute cette énumération qui quant à moi ne me dit rien qui vaille, ce que je trouve le plus intéressant c’est la formule que l’analyste propose « accueillir la castration à bras ouverts ». C’est en effet ce qu’avait fait sa mère au moment de la scène primitive. Cela prouve en tout cas une chose, c’est que pour lui, il n’y avait pas eu forclusion de la castration, pour lui, elle avait été parfaitement symbolisée, puisqu’il était capable de l’accueillir à bras ouvert. Ainsi était pour lui réalisé le désir de son rêve, celui de recevoir du père, un cadeau, l’enfant de ce père.
Cette extase décrite par l’analyste évoque ce que Freud décrit à propos de l’Homme aux rats, cette jouissance de lui-même ignorée, au moment du récit du supplice des rats, supplice subit par son père et par sa dame. Dans l’un, pour l’homme aux loups, c’est le versant masochique de cette jouissance, dans l’autre, pour l’homme aux rats, son versant sadique. Ils ne sont pas plus psychotiques, l’un que l’autre.