Trois fils de lecture peuvent être suivis dans ce deuxième chapitre de Dora, intitulé l’Etat morbide.
A – L’histoire familiale de Dora avec la rencontre de la famille K. ainsi que le chassé croisé qui s’en suivit : Le père de Dora ami avec Madame K. et Monsieur K. ami avec Dora.
B – L’histoire chronologique des symptômes de Dora, scandés par les événements traumatiques autour desquels s’étaient organisés ses symptômes hystériques.
C – L’histoire de l’invention de la psychanalyse avec les progrès théoriques que Freud décrit en l’entremêlant à l’histoire clinique de Dora.
Ces trois fils sans cesse intriqués l’un à l’autre rendent très difficiles la mise à plat de ce texte.
C’est le dernier fil, celui du progrès théorique que je vais suivre de la page 7 à la page 46.
Pour ceux qui n’auront pas la patience de tout lire j’ai préparé ce plan :
PLAN DU CHAPITRE II1 – LA PLACE DE L’INTERPRETATION DES REVES DANS LE TRAVAIL DE L’ANALYSE
2 – LES AMNESIES DANS LE RECIT DES MALADES
3 – L’IMPORTANCE DE L’HISTOIRE FAMILIALE
4 – LES FACTEURS SEXUELS DANS LA NEVROSE
5 – L’EVENEMENT TRAUMATIQUE POINT D’ORIGINE DU SYMPTOME
6 – FORMATION DES SYMPTOMES AUTOUR DU TRAUMA
7 – FORMATION DES SYMPTOMES AUTOUR DU TRAUMA
8 – » ENTRE LA MERDE ET L’URINE, NOUS SOMMES NES »
9 – LA COMPLAISANCE SOMATIQUE DE L’HYSTERIE
10 – LE CHOIX DE LA NEVROSE : DIFFERENCES ENTRE HYSTERIE, NEVROSE OBSESSIONNELLE ET PHOBIE
11 – LES MOTIFS DE LA MALADIE
A- UN CORRECTIF DE 1923 CONCERNANT LE MOTIF PRIMAIRE DE LA MALADIE
B – LES MOTIFS DE LA MALADIE EMPECHENT DE GUERIR
C – UNE FORME DE MOTIF QUI FAIT EGALEMENT OBSTACLE A LA GUERISON ET QU’IL NE FAUT PAS LAISSER ECHAPPER : LE BESOIN DE PUNITION
15 – DU SYMPTOME AU FANTASME
16 – L’INTERPRETATION FAIT DISPARAITRE LE SYMPTOME
17 – LA PERVERSION POLYMORPHE INFANTILE
18 – LE FANTASME FONDAMENTAL DE DORA
19 – ET LE SOUVENIR ECRAN QU’ELLE EN A
20 – LA COMPOSANTE HOMOSEXUELLE DU FANTASME HYSTERIQUE : L’AMOUR GYNECOPHILE DE DORA ET SA HAINE DU PERE COMME OBJET RIVAL. CES TROIS PAGES PREPARENT LA NOTE 2 DE LA PAGE 77-78.
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J’ai repris chacun de ces titres en y rajoutant les parties du texte qui y correspondent :
1 – La place de l’interprétation des rêves dans le travail de l’analyse
(p. 7) : » Après avoir démontré dans ma Science des rêves, publiée en 1900, que les rêves peuvent généralement être interprétés et remplacés, une fois le travail d’interprétation accompli, par des pensées d’une forme irréprochable, susceptibles d’être insérées à un endroit déterminé du contexte psychique, j’aimerais donner dans les pages suivantes un exemple de cette utilisation pratique que semble permettre l’art de l’interprétation des rêves. J’ai déjà mentionné dans mon livre de quelle manière j’ai été conduit aux problèmes du rêve. Je les ai trouvés sur mon chemin en m’efforçant de guérir les psycho-névroses par un procédé particulier de psychothérapie et, lorsque les malades me rapportaient, entre autres événements de leur vie psychique, leurs rêves qui semblaient exiger d’être interpolés dans le long enchaînement remontant des symptômes morbides à l’idée pathogène, j’appris alors à traduire, dans le mode d’expression habituel et direct de notre pensée, le langage du rêve « .
2 – Les amnésies dans le récit des malades
» L’ordre chronologique est toujours l’élément le plus vulnérable des souvenirs et celui qui subit le premier l’effet du refoulement. Nous trouvons certains souvenirs, pour ainsi dire, au premier stade du refoulement: ils sont chargés de doute. Ce doute ne manquerait pas d’être un peu plus tard remplacé par un oubli ou par un faux souvenir « .
L’amnésie disparaît en même temps que les symptômes :
» Ce n’est que vers la fin du traitement qu’on peut embrasser d’un coup d’œil une histoire de la maladie conséquente, compréhensible et complète. Si le but pratique du traitement est de supprimer tous les symptômes possibles et de leur substituer des pensées conscientes, il en est un autre, le but théorique, qui est la tâche de guérir les lésions de mémoire du malade. Les deux buts coïncident; si l’un est atteint, l’autre l’est aussi; un même chemin mène aux deux « .
3 – L’importance de l’histoire familiale
» Par la nature des choses qui forment le matériel de la psychanalyse, nous devons prêter dans nos observations autant d’attention aux conditions purement humaines et sociales où se trouvent les malades qu’aux données somatiques et aux symptômes morbides. Nous nous intéresserons avant tout aux rapports de famille de la malade et cela, comme nous l’allons voir, pour d’autres raisons encore que le seul examen de l’hérédité « .
4 – Les facteurs sexuels dans la névrose
» En voici un exemple. (note) Un de mes confrères viennois, convaincu que les facteurs sexuels étaient sans importance dans l’hystérie, conviction probablement affermie par des expériences analogues à celle qui suit, se décida à poser à une fillette de 14 ans, souffrant de vomissements hystériques violents, cette question désagréable : » N’avez-vous pas eu par hasard une affaire de cœur ? L’enfant répondit que non, probablement avec un étonnement bien joué, et raconta en termes peu respectueux à sa mère: » Pense donc, ce stupide bonhomme m’a même demandé si j’étais amoureuse. .Elle se fit plus tard soigner par moi, et il se révéla, mais pas au cours du premier entretien, qu’elle s’était pendant de longues années adonnée à la masturbation accompagnée de fortes pertes blanches (qui étaient en rapport étroit avec le vomissement) ; elle s’était déshabituée d’elle-même de la masturbation, mais fut tourmentée dans l’état d’abstinence qui suivit par les sentiments de culpabilité les plus violents, de sorte qu’elle envisageait tous les malheurs arrivés à sa famille comme le châtiment divin de son péché. Elle était, à part cela, sous l’influence du roman d’une sienne tante dont la grossesse illégitime (seconde détermination du vomissement) lui avait été soi-disant dissimulée. »
5 – L’événement traumatique point d’origine du symptôme
Dora me communiqua un événement antérieur, bien plus propre que l’autre à agir comme traumatisme sexuel. Elle était alors âgée de 14 ans, M. K… avait convenu avec elle et sa femme que les dames se rendraient dans l’après-midi à son magasin pour regarder de là une solennité religieuse. Mais il décida sa femme à rester chez elle et donna congé aux employés. Lorsque la jeune fille entra dans le magasin. il se trouvait seul. Quand le moment où devait passer la procession fut proche, il pria la jeune fille de l’attendre auprès de la porte qui menait du magasin à l’escalier de l’étage supérieur, pendant qu’il abaisserait les persiennes. Il revint ensuite et, au lieu de sortir par la porte ouverte, il serra la jeune fille contre lui et l’embrassa sur la bouche. Il y avait bien là de quoi provoquer chez une jeune fille de 14 ans, qui n’avait encore été approchée par aucun homme, une sensation nette d’excitation sexuelle. Mais Dora ressentit à ce moment un dégoût intense, s’arracha violemment à lui et se précipita, en passant à côté de l’homme, vers l’escalier et, de là, vers la porte de la maison « .
6- Formation des symptômes autour du trauma
» Il est remarquable qu’ici trois symptômes – le dégoût, la sensation de pression sur la partie supérieure du corps et l’horreur des hommes en tête à tête tendre avec une femme – résultent d’un événement unique et que seul le rapprochement de ces trois indices rend intelligible le processus de la formation des symptômes. Le dégoût correspond à un symptôme de refoulement de la zone érogène labiale » gâtée » comme nous allons l’apprendre, par le suçotement infantile.
….
La pression du membre érigé a probablement eu pour résultat une modification analogue de l’organe féminin correspondant, du clitoris, et l’excitation de cette seconde zone a été rattachée et fixée, par déplacement, à la sensation simultanée de pression sur le thorax. L’horreur des hommes susceptibles de se trouver en état d’excitation sexuelle reproduit le mécanisme d’une phobie, et cela pour se prémunir contre une nouvelle répétition de la perception refoulée « .
7 – » Entre la merde et l’urine, nous sommes nés »
» La sensation de dégoût semble primitivement être une réaction à l’odeur (plus tard aussi à l’aspect) des déjections. Or, les organes génitaux de l’homme, et en particulier le membre viril, peuvent rappeler les fonctions excrémentielles, car l’organe y sert, en dehors de la fonction sexuelle, à celle aussi de la miction. Cette fonction est même la plus anciennement et la seule connue à l’époque présexuelle. De cette façon, le dégoût devient une expression affective de la vie sexuelle. C’est le inter urinas et faeces nascimur du Père de l’Église qui est inhérent à la vie sexuelle et qui ne s’en laisse pas séparer, malgré tous les efforts d’idéalisation « .
8 – La complaisance somatique de l’hystérie
» Rappelons-nous ici qu’on s’est souvent demandé si les symptômes de l’hystérie étaient d’origine psychique ou somatique. Une fois l’origine psychique admise, l’on peut encore se demander si tous les symptômes de l’hystérie sont nécessairement déterminés psychiquement. Cette question, comme tant d’autres auxquelles des chercheurs assidus s’efforcent en vain de répondre, est mal posée. Le véritable état de choses n’est pas renfermé dans cette alternative. Pour autant que je puisse le voir, tout symptôme hystérique a besoin d’apport des deux côtés. Il ne peut se produire sans une certaine complaisance somatique qui se manifeste par un processus normal ou pathologique dans ou sur un organe du corps. Ce processus ne se produit qu’une fois -tandis que la faculté de répétition fait partie du caractère du symptôme hystérique -s’il n’a pas de signification psychique, de sens. Ce sens, le symptôme hystérique ne l’a pas de prime abord, il lui est conféré, il est en quelque sorte soudé avec lui, et peut être différent dans chaque cas, selon la nature des pensées réfrénées qui cherchent à s’exprimer.
9 – Le choix de la névrose : différences entre hystérie, névrose obsessionnelle et phobie
» Les processus psychiques sont, dans toutes les psychonévroses, pendant un bon bout de chemin les mêmes, c’est ensuite seulement qu’entre en ligne de compte la complaisance somatique qui procure aux processus psychiques inconscients une issue dans le corporel. Là où ce facteur ne joue pas, cet état n’est plus un symptôme hystérique, mais quand même quelque chose d’apparenté, une phobie, par exemple, ou une obsession, bref un symptôme psychique « .
10 – Les motifs de la maladie
» Les motifs de maladie doivent être nettement distingués des modes que peut revêtir celle-ci, c’est-à-dire du matériel dont sont formés les symptômes. Ils ne participent pas à la formation des symptômes, ne sont pas non plus présents dès le début de la maladie ; ils ne s’y adjoignent que secondairement, et la maladie n’est pleinement constituée que par leur apparition.
Il faut compter sur la présence des motifs de maladie dans tout cas qui implique une véritable souffrance et qui est d’une assez longue durée. Le symptôme est d’abord un hôte importun de la vie psychique, il a tout contre lui et c’est pourquoi il disparaît si facilement de lui-même, avec le temps, en apparence. Mais si, au début, il ne peut trouver aucune utilisation dans l’économie psychique, il arrive fréquemment qu’il finisse secondairement par en acquérir une. Un certain courant psychique peut trouver commode de se servir du symptôme et, de cette façon, celui-ci acquiert une fonction secondaire et se trouve comme ancré dans le psychisme. Celui qui veut guérir le malade se heurte, à son grand étonnement, à une forte résistance qui lui apprend que le malade n’a pas aussi formellement, aussi sérieusement qu’il en a l’air, l’intention de renoncer à sa maladie. Qu’on se représente un ouvrier, un couvreur par exemple, qui, à la suite d’une chute, devient infirme et qui ensuite vivote en mendiant au coin d’une rue. Or, que vienne un thaumaturge lui promettant de lui rendre sa jambe tordue droite et capable de marcher, il ne faudra pas s’attendre à voir sur son visage l’expression d’une joie excessive. Certes, lors de son accident, il s’était senti extrêmement malheureux, avait compris qu’il ne pourrait plus jamais travailler, qu’il devrait mourir de faim ou vivre d’aumônes. Mais depuis, ce qui d’abord l’avait rendu incapable de gagner son pain est devenu la source de ses revenus; il vit de son infirmité. Qu’on la lui enlève, voilà un homme désemparé…
a – Un correctif de 1923 concernant le motif primaire de la maladie
» On n’est plus autorisé à prétendre que les motifs de la maladie ne soient pas présents dès le début de la maladie… l’existence d’un profit primaire de la maladie doit être reconnue dans toute névrose. Le fait de devenir malade épargne tout d’abord un effort ; il est donc, au point de vue économique, la solution la plus commode dans le cas d’un conflit psychique (fuite dans la maladie), quoique l’impropriété d’une telle issue se révèle ultérieurement sans équivoque, dans la plupart des cas. Cette partie du profit primaire de la maladie peut être appelée profil intérieur psychologique: il est, pour ainsi dire, constant. En outre, ce sont des facteurs extérieurs, comme par exemple la situation ici citée d’une femme opprimée par son mari, qui peuvent fournir des motifs à la maladie, et représenter par là la part extérieure du profit primaire de la maladie.
b – Les motifs de la maladie empêchent de guérir
» C’est dans la lutte contre les motifs que réside généralement, dans le cas de l’hystérie, la faiblesse de toute thérapeutique, même de la psychanalytique. En cela, le destin a le jeu plus facile, il n’a besoin de s’attaquer ni à la constitution ni au matériel pathogène du malade; il enlève un motif de maladie, et le malade est temporairement, et parfois même définitivement, débarrassé de son mal. Souvent, l’on nous cache, à nous médecins, les intérêts vitaux de nos malades, et si nous en pouvions plus fréquemment prendre connaissance, nous n’admettrions plus, dans l’hystérie, la survenue de tant de guérisons miraculeuses, de tant de disparitions spontanées de symptômes !
c – Une forme de motif qui fait également obstacle à la guérison et qu’il ne faut pas laisser échapper : le besoin de punition
» Mais il existe des cas à motifs purement intérieurs, comme par exemple une punition infligée à soi-même, donc un repentir et une pénitence. La tâche thérapeutique y est plus facile à accomplir que là où la maladie est en rapport avec la réalisation d’un but extérieur »
14 – Du symptôme au fantasme
Comme Freud passe du contenu manifeste au contenu latent du rêve, de son chiffrage à son déchiffrage, là il effectue le même mouvement pour le symptôme.
Il retrouve donc le fantasme sexuel qui est mis en scène dans ce symptôme. Ce qu’il ne dit pas dans ce contexte, mais c’est justement ce qui lui a échappé dans l’histoire de Dora, c’est que c’est toujours un double fantasme sexuel, dans lequel, le sujet joue à la fois le rôle d’un homme et d’une femme. Freud le savait pourtant, puisqu’il avait déjà décrit ce double fantasme dans son grand texte » Les fantasmes hystériques dans leur rapport à la bisexualité « .
Voici donc ce passage :
» Selon une règle que j’ai toujours trouvée confirmée par mon expérience, mais que je n’avais pas encore eu le courage d’ériger en règle générale, le symptôme signifie la représentation -la réalisation -d’un fantasme à contenu sexuel, c’est-à-dire d’une situation sexuelle, ou, pour mieux dire, tout au moins une des significations du symptôme correspond à la représentation d’un fantasme sexuel, tandis que, pour les autres significations, pareille limitation du contenu n’existe pas. Qu’un symptôme ait plus d’une seule signification, qu’il serve à la représentation de plus d’une pensée inconsciente, cela s’apprend bientôt lorsqu’on s’engage dans le travail psychanalytique. J’aimerais même ajouter qu’à mon avis une seule pensée, un seul fantasme inconscient ne suffisent presque jamais à engendrer un symptôme.
L’occasion se présenta bientôt d’expliquer la toux nerveuse par une imaginaire situation sexuelle. Lorsque Dora eut souligné une fois de plus que Mme K… n’aimait son père que parce qu’il était un homme fortuné, je m’aperçus, grâce à certaines petites particularités de son mode de langage – particularités que je néglige ici comme je le fais de la plus grande partie purement technique du travail psychanalytique -que cette proposition masquait son contraire: à savoir que son père n’avait pas de fortune. Ceci ne pouvait avoir qu’un sens sexuel (I) : mon père est, en tant qu’homme, impuissant. Lorsqu’elle eut approuvé cette interprétation, avouant avoir eu consciemment cette pensée
… Elle savait fort bien, dit- elle, qu’il existait plus d’une manière d’assouvissement sexuel. La source de ces connaissances, cependant, s’avéra une fois de plus introuvable. Lorsque je lui demandai si elle entendait parler ainsi de l’utilisation d’autres organes que les organes génitaux dans les rapports sexuels, elle me répondit par l’affirmative et je pus poursuivre en lui disant que certainement elle devait penser aux organes qui, chez elle, se trouvaient dans un état d’irritation: la gorge et la cavité buccale La suite du raisonnement était pourtant inéluctable, cette toux survenant par quintes et provoquée habituellement par un chatouillement dans le gosier, représentait une situation de satisfaction sexuelle per os entre les deux personnes dont les relations amoureuses la préoccupaient sans cesse.
15 – L’interprétation fait disparaître le symptôme
Le fait que la toux ait disparu très peu de temps après cette explication tacitement acceptée s’accorde très bien avec notre conception; mais nous ne voulûmes pas attacher trop de prix à ce changement, puisqu’il s’était si souvent déjà effectué spontanément.
16 – La perversion polymorphe infantile
A la fin de ce chapitre, Freud aborde alors la question de la perversion polymorphe infantile.
C’est une sorte d’introduction à l’ouvrage qu’il écrira peut de temps après trois essais sur la théorie de la sexualité.
» De ce que nous nommons perversions sexuelles, c’est-à-dire des transgressions de la fonction sexuelle relativement aux régions corporelles et à l’objet sexuel, il faut savoir parler sans indignation. Le manque de limites déterminées où enfermer la vie sexuelle dite normale, suivant les races et les époques, devrait suffire à calmer les trop zélés. Nous ne devons pas oublier que parmi ces perversions, la plus abominable à nos yeux, l’amour sensuel de l’homme pour l’homme, fut chez un peuple d’une culture bien supérieure à la nôtre, le peuple grec, non seulement tolérée, mais même chargée d’importantes fonctions sociales. Chacun de nous dépasse soit ici, soit là, dans sa propre vie sexuelle, les frontières étroites de ce qui est normal. Les perversions ne sont ni des bestialités, ni de la dégénérescence dans l’acception pathétique du mot. Elles sont dues au développement de germes qui tous sont contenus dans la prédisposition sexuelle non différenciée de l’enfant, germes dont la suppression ou la dérivation vers des buts sexuels supérieurs -la sublimation -est destinée à fournir les forces d’une grande part des oeuvres de la civilisation. Lorsque quelqu’un est devenu grossièrement et manifestement pervers, on peut dire plus justement qu’il l’est resté, il représente un stade d’arrêt dans l’évolution. Les psychonévrosés sont tous des êtres à tendances perverses fortement développées, mais refoulées et rendues inconscientes au cours de leur évolution. Leurs fantasmes inconscients présentent. par conséquent. le même contenu que les actions authentiques des pervers, même s’ils n’ont pas lu la Psychopathia sexualis de Krafft-Ebing, ouvrage auquel des naïfs attribuent un si grand rôle dans la genèse des tendances perverses. Les psychonévroses sont, pour ainsi dire, le négatif des perversions…. Les eaux, trouvant un obstacle dans le lit du fleuve, sont refoulées dans des lits anciens auparavant destinés à être abandonnés. Les énergies instinctuelles destinées à produire les symptômes hystériques sont fournies non seulement par la sexualité normale refoulée, mais encore par les émois pervers inconscients (I).
Les moins repoussantes parmi ce qu’on appelle perversions sexuelles sont très répandues dans notre population, comme chacun le sait, à l’exception des médecins auteurs de travaux sur ces sujets, Ou plutôt, ces auteurs le savent aussi, mais s’efforcent seulement de l’oublier au moment même où ils prennent la plume pour en traiter.
15 Le fantasme fondamental de Dora
» Il n’était donc pas stupéfiant que notre hystérique, âgée bientôt de 19 ans, et qui avait entendu parler de semblables rapports sexuels (la succion de la verge), développât un pareil fantasme inconscient et l’exprimât par une sensation d’irritation dans la gorge et par de la toux. Il n’était pas non plus surprenant de la voir arriver, sans éclaircissements extérieurs, à un pareil fantasme, ainsi que je l’ai constaté avec certitude chez d’autres malades. La condition somatique préalable d’une semblable création libre de l’imagination. qui coïncide avec la manière d’agir des pervers, était due chez elle à un fait digne d’attention. Elle se rappelait très bien avoir été, dans son enfance, une suçoteuse. Le père aussi se souvenait de l’avoir sevrée de cette habitude qui s’était perpétuée chez elle jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans.
16 – Et le souvenir écran qu’elle en a
» Dora elle-même avait gardé dans sa mémoire une image nette de sa première enfance: elle se voyait assise par terre dans un coin, suçant son pouce gauche, tandis qu’elle tiraillait en même temps, de la main droite, l’oreille de son frère tranquillement assis à côté d’elle. Il s’agit ici d’un mode complet de l’assouvissement de soi- même par le suçotement dont m’ont parlé d’autres patientes encore, devenues plus tard anesthésiques et hystériques. De l’une d’entre elles, j’ai reçu une information qui projette une vive lumière sur l’origine de cette étrange habitude. Cette jeune femme, qui n’avait d’ailleurs jamais perdu l’habitude de suçoter, se voyait, dans un souvenir d’enfance datant, paraît-il, de la première moitié de sa seconde année, boire au sein de sa nourrice et, en même temps, lui tirailler rythmiquement l’oreille. Je suppose que personne ne contestera que la muqueuse des lèvres et de la bouche puisse être qualifiée de zone érogène primaire, elle qui a gardé une partie de cette qualité dans le baiser, considéré comme normal. L’activité intense et précoce de cette zone érogène est, par suite, la condition d’une. complaisance somatique » ultérieure de la part du tube muqueux qui commence aux lèvres. Lorsque, plus tard, à une époque où le véritable objet sexuel, le membre viril, est déjà connu, se produisent des circonstances qui accroissent à nouveau l’excitation de la zone buccale restée érogène, il ne faut pas de grands efforts d’imagination pour substituer à la mamelle originaire ou au doigt qui la remplaçait, l’objet sexuel actuel, le pénis, dans la situation favorable à la satisfaction. Ainsi ce fantasme pervers, tellement choquant, de la succion du pénis, a une origine des plus innocentes; le dit fantasme est la refonte d’une impression, qu’il faut appeler préhistorique, de la succion du sein de la mère ou de la nourrice, impression qui d’ordinaire fut ravivée quand on eut l’occasion plus tard de voir des enfants au sein. Le plus souvent, c’est le pis de la vache, représentation intermédiaire, qui sert à établir la transition entre le mamelon et le pénis.
Les dernières pages du texte sont consacrées à l’objet d’amour des hystériques qui est » l’autre femme « , celle qui lui permet d’interroger sa propre féminité.
Avec le deuxième rêve de Dora, cette question sera reprise.