Objet partiel et « agalma » dans le séminaire du transfert

 

 

J’ai trouvé quelque chose qui précise bien où est, sur le schéma optique, ce qu’il en est de l’objet partiel – il dit expressément qu’il reste au niveau de ce qu’il appelle « l’enceinte narcissique » et que, par contre, l’agalma est du côté de l’objet aimé, celui que Platon et Lacan appellent l’éroménos, l’objet aimé. Donc l’un est bien du côté de i(a) et l’autre du côté du petit autre, en i'(a).

Ce complément d’indication dans la dernière séance du séminaire du transfert :

 

« L’important est que vous vous souveniez de ce que la dernière fois, autour du schéma du tableau et d’un autre que je vais reprendre sous une forme plus simple… que vous sachiez quel rapport il y a entre l’objet du désir (en tant que depuis toujours j’ai souligné, articulé, insisté devant vous sur ce trait essentiel, sa structuration comme objet partiel dans l’expérience analytique) [d’obturation foncière] et le correspondant libidinal de ce fait ; le rapport qu’il y a là et que j’ai mis en valeur la dernière fois est justement ce qui reste le plus irréductiblement investi au niveau du corps propre : le fait foncier du narcissisme et son noyau central. La phrase que j’ai extraite d’Abraham, à savoir que c’est pour autant que le phallus réel reste à l’insu du sujet ce autour de quoi l’investissement maximum est conservé, préservé, gardé, c’est dans cette relation même que cet objet partiel se trouve être élidé, laissé en blanc dans l’image de l’autre en tant qu’investie – le terme même d’investissement prenant tout son sens de l’ambiguïté qu’il comporte dans le besetzt allemand – non seulement d’une charge mais de quelque chose qui entoure ce blanc central. Et aussi bien, s’il faut nous attaquer à quelque autre évidence, n’est-il pas sensible que l’image que nous pouvons ériger à l’acmé de la fascination du désir <est> celle précisément qui, du thème platonicien au pinceau de Botticelli, se renouvelle avec la même forme ; celle de la naissance de Vénus, Vénus Aphrodite, fille de l’écume, Vénus sortant de l’onde, ce corps érigé au-dessus des flots de l’amour amer[1], Vénus ou aussi bien Lolita. Que nous apprend cette image, à nous analystes, si nous avons su justement l’identifier dans l’équation symbolique, pour employer le terme de girl = phallus de Fenichel ?[2] Car le phallus que nous apprend-il sinon que s’articule ici, non pas d’autre façon mais à proprement parler de la même, que le phallus, là où nous le voyons symboliquement, c’est justement là où n’est pas, là où nous le supposons sous le voile [qu’il s’est manifesté] <se manifester> dans l’érection du désir, c’est de ce côté-ci du miroir, là où il est, c’est là où il n’est pas. S’il est là devant nous, dans ce corps éblouissant de Vénus, c’est que justement, en tant qu’il n’est pas là et que cette forme est investie, au sens où nous l’avons dit tout à l’heure, de tous les attraits, de tous les Triebregungen qui la cernent du dehors, le phallus lui, avec sa charge est de ce côté-ci du miroir, à l’intérieur de l’enceinte narcissique.

Si le miroir est là, nous avons la relation suivante, ce qui émerge à l’état de forme fascinante <est> ce qui se trouve investi des flots libidinaux qui viennent de là où a été retiré (de la base, du fondement si l’on peut dire, du fondement narcissique), d’où se puise tout ce qui vient à former comme telle la structure objectale, à la condition que nous en respections les rapports et les éléments. Ce qui constitue le Triebregung en fonction d’un désir, le désir dans sa fonction privilégiée (dans le rapport propre qui s’appelle le désir qu’on distingue de la demande et du besoin) a son siège dans ce reste auquel correspond dans l’image ce mirage par où elle est identifiée justement à la partie qui lui manque et dont la présence invisible donne à ce qu’on appelle la beauté justement sa brillance, ce que veut dire l’himeros antique, que j’ai maintes fois approché allant jusqu’à jouer de son équivoque avec l’himera, jour[3].

Ici est le point central autour de quoi se joue ce que nous avons à penser de la fonction de a, et bien sûr il convient d’y revenir encore et de vous rappeler le mythe dont nous sommes partis. Je dis mythe, ce mythe que j’ai fabriqué pour vous cette année au moment du Banquet, de la main qui se tend vers la bûche. [Cette] <Quelle> étrange chaleur, cette main [de réelle portée] <devrait elle porter> avec elle pour que le mythe soit vrai, pour qu’à son approche jaillisse cette flamme [de l’objet en feu, mirage] <par quoi l’objet prend feu, miracle> pur contre lequel s’insurgent toutes les <bonnes âmes> car si rare soit-il, ce phénomène, il faut encore qu’il soit considéré comme impensable qu’on ne puisse pas en tout état de cause l’empêcher. C’est en effet le miracle complet qu’au milieu de ce feu induit une main apparaisse ; elle est l’image tout idéal, c’est un phénomène rêvé comme celui de l’amour. Chacun sait que le feu de l’amour ne brûle qu’à bas bruit, chacun sait que la poutre humide peut longtemps le contenir sans que rien n’en soit révélé au dehors, chacun sait, pour tout dire, ce qu’il est chargé dans Le Banquet au plus gentiment bêta[4] d’articuler de façon quasi dérisoire que la nature de l’amour est la nature de l’humide, ce qui veut dire justement, dans sa racine, exactement la même chose que ce qui est là au tableau : que le réservoir de l’amour objectal, en tant qu’il est amour du vivant, c’est justement cette Schatten, cette ombre narcissique.

La dernière fois je vous avançais la présence de cette ombre et aujourd’hui j’irai bien jusqu’à l’appeler, cette tache, de moisissure, de moisi peut-être mieux nommé qu’on le croit, si le mot [moisi] <Moi s’y> est inclus ; nous irions y rejoindre toute la spéculation du tendre Fénelon, lui aussi, comme on dit, ondoyant quand il fait aussi du moi le signe de je ne sais quel apparentement à la divinité. Je serais tout aussi capable qu’un autre de pousser très loin cette métaphore et jusqu’à faire de mon discours un message pour votre drap. Cette odeur de rat crevé qui affleure du linge pour peu qu’on le laisse séjourner sur le rebord d’une baignoire doit vous permettre d’y repérer un signe humain essentiel. Mon style d’analyste, ce n’est pas uniquement par préférence que je lui préfère des voies que l’on qualifie, que l’on stigmatise d’abstraction, cela peut être simplement pour ménager chez vous un odorat que je saurais aussi bien chatouiller qu’un autre.

Quoi qu’il en soit, là derrière vous voyez se profiler ce point mythique, qui est sûrement bien celui né de l’évolution libidinale, que l’analyse, sans trop savoir jamais bien le situer dans l’échelle, a cerné autour du complexe urinaire avec son rapport obscur avec l’action du feu, termes antinomiques, l’un luttant contre l’autre, jeu de l’ancêtre primitif. Comme vous savez, [quel autre ancêtre] l’analyse a découvert que son premier réflexe de jeu à l’endroit de l’apparition de la flamme avait dû être de pisser dessus, renouvelé dans le Gulliver, rapport profond [l’urinal à l’urine] <de l’uro, je brûle, à l’urina, l’urine : je pisse dessus>[5]. Tout cela s’inscrit au fond de l’expérience infantile : l’opération du séchage des draps, les rêves du linge énigmatiquement empesé, plutôt de l’érotique de la blanchisseuse chez M. Visconti, [ceux qui ont pu aller voir la splendide mise en scène de <lacune> de tous les blancs possibles] illustrant sur la scène, matérialisant pour nous le fait et la raison de savoir pourquoi Pierrot scène est en blanc[6]. Bref, c’est un petit milieu bien humain qui fait bascule autour du moment ambigu entre l’énurésie et les premières pollutions.

C’est là autour que se joue la dialectique de l’amour et du désir dans ses racines les plus sensibles. L’objet central, l’objet du désir – sans vouloir pousser plus loin ce mythe placidement incarné dans les premières images dans lesquelles apparaît pour l’enfant ce qu’on appelle la petite carte géographique, la petite Corse sur les draps que tout analyste connaît bien – l’objet du désir s’y présente au centre de ce phénomène comme un objet sauvé des eaux de votre amour. L’objet se trouve à une place qui est justement – et c’est la fonction de mon mythe – à situer au milieu du même buisson ardent où un jour s’est annoncé ce qu’il y a dans son opaque réponse :  » je suis ce que je suis « , dans ce point même où faute de savoir qui parle là, nous en sommes toujours à entendre l’interrogation du Che vuoi ? où hennit le diable de Cazotte, une étrange tête de chameau métamorphique d’où aussi bien peut sortir la petite chienne fidèle du désir.

Tel est ce à quoi nous avons affaire quant au petit a du désir, tel est le point sommet autour duquel pivote ce en quoi nous avons affaire à lui tout au long de sa structure. Mais quant à l’attrait libidinal jamais dépassé, je veux dire que ce qui l’antécède dans le développement, à savoir les formes premières de l’objet en tant que séparé (les seins, les fèces), ne prennent leur fonction que pour autant que nachträglich ils sont repris comme ayant joué le même jeu à la même place. [que] Quelque chose [qui] entre dans la dialectique dé l’amour à partir des demandes primitives, à partir du Trieb du nourrissage qui s’est instauré dès l’abord parce que la mère parle. Il y a un appel à l’au-delà de ce qui peut satisfaire de cet objet qui s’appelle sein tout de suite pris comme valeur instrumentale, pour distinguer ce fond, cet arrière-plan que le sein n’est pas seulement ce qui se repousse, ce qui se refuse parce que déjà l’on veut autre chose ; c’est aussi autour de la demande que les fèces (premiers cadeaux) se retiennent ou se donnent comme réponse à la demande. Voici dans toute cette antériorité dont nous avons structuré [dans] les rapports oral et anal cette fonction : l’avoir se confond avec l’être ou sert à l’appel de l’être, de la mère, au-delà de tout ce qu’elle peut apporter de support anaclitique.

Je vous l’ai dit, c’est à partir du phallus, de son avènement dans cette dialectique, que s’ouvre justement, pour avoir été réunie en lui, la distinction de l’être et de l’avoir. Au-delà de l’objet phallique, la question – c’est bien le cas de le dire – s’ouvre à l’endroit de l’objet autrement. Ce qu’il présente ici, dans cette émergence d’île, ce fantasme, ce reflet où justement il s’incarne comme objet du désir se manifeste précisément dans l’image, je dirais presque la plus sublime dans laquelle il peut s’incarner, celle que j’ai mise en avant tout à l’heure comme objet de désir, il s’incarne justement dans ce qui lui manque. C’est à partir de là que s’origine tout ce qui va être la suite du rapport du sujet à l’objet du désir. S’il captive par ce qui lui manque là, où trouver ce par quoi il captive ? La suite [est] <et> l’horizon du rapport à l’objet, si ce n’est pas avant tout un rapport conservatif, c’est, si je puis dire, de l’interroger sur ce qu’il a dans le ventre ou qui se poursuit sur la ligne où nous essayons d’isoler la fonction de petit a, c’est la ligne proprement sadienne par où l’objet est interrogé jusqu’aux profondeurs de son être, par où il est sollicité de se retourner dans ce qu’il a de plus caché pour venir à remplir cette forme vide en tant qu’elle est forme fascinante. Ce qui est demandé à l’objet, c’est jusqu’où il peut supporter cette question, et après tout il ne peut bien la supporter que jusqu’au point où le dernier manque à être est révélé, jusqu’au point où la question se confond avec la destruction de l’objet. C’est parce que ceci est le terme qu’il y a cette barrière que je vous ai placée l’année dernière, la barrière de la beauté ou de la forme, c’est celle par laquelle l’exigence de conserver l’objet se réfléchit sur le sujet lui-même.

Quelque part dans Rabelais, Gargantua part pour la guerre :  » Gardez ceci qui est le plus aimé « , lui dit sa femme en désignant du doigt ce qui, à l’époque, est beaucoup plus facile à désigner sans ambiguïté qu’à notre époque puisque vous savez que cette pièce de vêtement qui s’appelait la braguette avait alors son caractère glorieux, cela veut dire : elle ne peut pas se garder à la maison. La deuxième chose est à proprement parler pleine de sapience, dans aucun des propos de Rabelais cela ne manque, c’est ceci :  » engagez tout, tout peut aller dans la bataille, mais ceci gardez-le irréductiblement au centre  » c’est bien ce qu’il s’agit de ne pas risquer[7].

Dans les lignes qui suivent, Lacan décrit comment, à force d’essayer de forcer le secret, d’interroger ce qu’il en est du désir de l’Autre, contenu au coeur de l’objet ce qu’on frôle ainsi c’est la destruction même de cet objet en effet Lacan indique que  l’objet aimé devient l’objet interrogé, je dirais même traqué dans son intimité.

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