Une hallucination hystérique, celle de Lucy, une des héroïnes des Etudes sur l’hystérie

 En ce début de chapitre V d’Inhibition, symptôme et angoisse, Freud évoque tout d’abord la question des symptômes hystériques et notamment la question de ce qu’est la « conversion hystérique »,  comment ils deviennent  symptômes corporels :

« Les symptômes les plus fréquents de l’hystérie de conversion – paralysie motrice, contracture ou action involontaire ou encore décharge motrice, douleur, hallucination – sont des processus d’investissement, soit maintenus en permanence, soit intermittents, ce qui prépare de nouvelles difficultés à l’explication. Au vrai, nous savons peu de chose au sujet de tels symptômes. L’analyse peut nous apprendre quel est le cours d’excitation perturbé auquel ils se substituent.

La plupart du temps, il s’avère qu’ils participent eux-mêmes à ce cours, comme si, par conséquent, la totalité de l’énergie de ce cours s’était concentrée sur ce seul point. Ainsi, la douleur dont souffre le patient était présente dans la situation où se produisit le refoulement; l’hallucination actuelle était alors perception ; la paralysie motrice est la défense contre une action qui aurait dû être accomplie dans cette situation mais fut inhibée; la contracture est habituellement le déplacement d’une innervation musculaire, projetée jadis et portant sur une autre partie du corps; l’attaque convulsive, l’expression d’une explosion d’affect qui s’est soustraite au contrôle normal du moi ».

Dans ce passage, toute la variété des symptômes hystériques s’y trouve donc décrite, y compris la grande attaque hystérique, par exemple celle dont souffrait Dostoievski, ses « attaques de mort » – ce que Freud a repéré comme étant une « hystéro-épilepsie ». Flaubert en avait souffert lui aussi.

Mais il m’a semblé intéressant de repérer tout spécialement la question des hallucinations hystériques, car elle nous mettent sur la voie de la différence qu’il y a entre elles  et les hallucinations psychotiques. Peut-être que cette approche pourrait nous donner une approche un peu inattendue et en tout cas renouvelée de l’hallucination du doigt coupé de l’Homme aux loups. J’ai repris pour cela la belle observation de Lucy qui se trouve dans les Etudes sur l’hystérie,  p. 83.

Il s’agit d’une hallucination olfactive, une odeur d’entremets brûlé, odeur qui était venu se substituer à une odeur de cigare. Comme les hallucinations olfactives ont été rarement décrites, par rapport aux hallucinations visuelles ou auditives, celle-ci est d’autant plus intéressante :

Vers la fin de 1892, un médecin de mes amis m’adressa une jeune personne qu’il traitait pour une rhinite chronique » Il doit s’agir de Fliess. Au cours de ce traitement apparurent de nouveaux symptômes, « elle avait totalement perdu l’odorat et était, presque sans interruption poursuivie par une ou deux sensations olfactives d’ordre subjectif. Cette sensation lui semblait fort pénible, elle se sentait en outre d’humeur morose, fatiguée, se plaignait de lourdeurs de tête, de manque d’appétit et d’adynamisme.

Quelques lignes plus loin, il précise ce qu’il en est  de ce symptôme : « Peut-être serait-il plus exact de considérer les hallucinations olfactives répétées et la mauvaise humeur qui les accompagnaient comme des équivalents d’un accès hystérique […] Cette hypothèse se trouva bientôt confirmée lorsque je lui demandai quelle odeur la poursuivait surtout ; elle me répondit que c’était une odeur d’entremets brûlé. J’admis donc simplement qu’elle avait dû réellement sentir cette odeur lors de l’incident traumatisant. Il n’est pas du tout habituel que des sensations olfactives soient choisies pour jouer le rôle de symbole mnémonique d’un traumatisme, mais ce choix était facile à comprendre. La malade était atteinte de rhinite purulente  et c’est pourquoi le nez et ses perceptions étaient au premier plan de ses préoccupations […] Je résolus de prendre comme point de départ de n’analyse cet odeur d’entremets brûlé ».

En ce point de son exposé, Freud entreprend une longue digression sur les difficultés qu’il avait rencontré avec l’hypnose et il ne reprend cette observation que quelques pages plus loin, p. 88.

En bref, elle était amoureuse de son patron qui était veuf et il n’avait pas répondu à ses attentes. En cours d’analyse, à cette hallucination de l’entremets brûlé est venu se substituer une autre hallucination olfactive qui a mis Freud sur la voie, celle d’une odeur de cigare :

« Quand je revins une autre fois à l’odeur de brûlé, elle me dit que cette dernière avait tout à fait disparu mais qu’une autre odeur semblable la tourmentait, l’odeur de la fumée de cigare. Cette odeur devait exister auparavant, mais avait été dissimulée par celle de l’entremets brûlé. Maintenant elle apparaissait à l’état pur ».

Ce nouveau symptôme fait surgir deux autres scènes traumatiques, celles où elle dut perdre tout espoir d’être aimé de cet homme. Sans doute ces scènes l’avaient-elles renvoyée à une Versagung beaucoup plus profonde, celle du Père, dont il n’est fait aucune mention dans cette analyse.

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