Dans les préambules aussi bien au texte de Dora que de celui de Ernst, Freud nous fait part de ses scrupules devant ce qu’il ressent pourtant comme une nécessité celle de rendre compte de ce qui se passe dans une analyse et de démontrer en quoi elle peut être efficace dans la résolution des symptômes et ce donc en franchissant ce qui est pour lui et pour tout médecin, un interdit, celui de trahir le secret médical, qui, avec Freud, devient secret analytique.
En effet Freud, comme tous les médecins, avait prononcé devant ses pairs, le serment d’Hyppocrate. J’ai eu la curiosité de retrouver son énoncé qui devient pour chaque médecin une énonciation qui l’engage. Il en existe plusieurs versions. J’ai choisi celle qui suit, car la question du secret médical y est clairement énoncée : « En présence des Maîtres de cette Ecole, de mes chers Condisciples et devant l’effigie d’Hippocrate je promets et je jure, au nom de l’Etre suprême, d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l’exercice de la médecine. Je donnerai mes soins gratuits à l’indigent et n’exigerai jamais un salaire au-dessus de mon travail. Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés, et mon état ne servira pas a corrompre les moeurs ni à favoriser le crime. Respectueux et reconnaissant envers mes Maîtres, je rendrai à leurs enfants l’instruction que j’ai reçue de leurs pères. Que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert d’opprobre et méprisé de mes confrères si j’y manque ».
Ce serment d’Hyppocrate n’est pas prononcé par tous les analystes, puisqu’ils ne sont pas tous de formation médicale, cependant cette question du secret analytique à respecter a un incontestable effet surmoïque sur chacun d’entre nous et entrave sans nul doute les approches cliniques que nous serions tentés d’effectuer. Freud lui avait le courage de franchir ces interdits. Car c’est manifeste qu’il encourait la désapprobation de ses pairs. Il lui fallait beaucoup de courage et il essaie quand même à chaque fois de se justifier.
De la publication du texte de Dora à celle du texte de Ernst, neuf ans se sont écoulés, mais la culpabilité et le besoin de se justifier sont toujours les mêmes.J’ai essayé de voir là où son argumentation diffère.
Dans le texte de Dora
» … il me sera impossible d’éviter les objections, car si on m’a reproché de n’avoir rien dit sur mes malades, on me blâmera maintenant d’en parler. […] La publication de mes observations reste pour moi un problème difficile à résoudre, même dans les cas où je ne tiendrais pas compte des gens mal intentionnés et incompréhensifs… s’il est exact que l’hystérie ait sa source dans l’intimité de la vie psychique sexuelle des malades, et que les symptômes hystériques soient l’expression de leurs désirs refoulés les plus secrets, l’éclaircissement d’un cas d’hystérie doit nécessairement dévoiler cette intimité et trahir ses secrets « .
Cependant Freud avance comme argument, pour passer outre à cette difficulté, voire à cet interdit, que » le médecin a des devoirs non seulement envers le malade mais envers la science. Envers la science veut dire au fond envers d’autres malades qui souffrent du même mal ou en souffriront. »
Il a enfin d’une part préservé l’anonymat de Dora, évité qu’elle puisse être reconnu et rajoute enfin que pour Dora, elle-même, elle n’a rien pu apprendre qu’elle ne savait déjà elle-même.
Il y a un point qui mérité d’être souligné dans l’argumentation de Freud et qui de nos jours mériterait discussion, le fait que pour lui, il était hors de question de prévenir l’analysant que son histoire deviendrait ainsi pour la psychanalyse, un objet d’étude.
En parler à l’analysant devrait être possible, mais je dirais après un certain temps écoulé entre la fin du travail analytique et le récit de son histoire interprété par l’analyste. Un temps nécessaire à ce travail de deuil mais aussi de symbolisation du chemin parcouru dans l’analyse, pour l’analysant. Lacan évoquait cette transformation qui fait que ce qui était si singulier pour l’analysant, et surtout ignoré de lui, de ses symptômes, prend une portée universelle. La prise en compte du fait que nous sommes tous logés à la même enseigne, celle de la névrose (quelquefois de la psychose, ou de la perversion). Cela donne du recul par rapport à sa propre histoire, par rapport à ses symptômes, même si cela n’exclut pas quelque réserve et pudeur.
Dans le texte de L’Homme aux rats
Son argumentation est beaucoup plus succincte. » J’aurais voulu pouvoir et avoir le droit d’en dire bien davantage. Je ne peux en effet, communiquer l’histoire complète du traitement car elle exigerait l’exposé des détails de la vie de mon patient. L’attention importune de la capitale, dont mon activité professionnelle fait tout particulièrement l’objet, m’interdit un exposé entièrement conforme à la vérité « . Là encore ce qui prévaut c’est la crainte de Freud est que l’on découvre l’identité de son analysant. Comme Ernst avait déjà lu les œuvres déjà parues de Freud, on peut se demander s’il n’avait pas lu également, dans les années qui ont suivi son analyse, en 1907, l’une de ces cinq psychanalyses qui lui avait été dédiée et quels effets cela avait pu avoir sur lui le fait de relire ainsi sa propre histoire vue du côté de l’analyste.
Qu’en est-il de nos jours ?
1 Comment
Bonjour Liliane
Personnellement, je n’aimerai pas être un objet d’étude.
Que par exemple, ma psychanalyste parle comment elle a vécu les choses pour elle avec moi oui, mais qu’elle parle de moi non.
Je précise que je parle pour moi
Belle journée à vous
Ingrid