Le chapitre VI de l’Interprétation du rêve est intitulé « Le travail du rêve ». Dans les chapitres précédents, Freud partait toujours du texte du rêve, de son contenu manifeste pour tenter d’y retrouver ce qu’il appelle « les pensées du rêve ». Dans ce chapitre, il inverse la démarche, il part en effet des pensées du rêve pour décrire comment elles trouvent à s’exprimer et quels sont les mécanismes qui sont à l’oeuvre dans la formation du rêve, sa fabrication sous forme de rébus.Nous y retrouverons à la fois le rêve de la monographie botanique que Freud va utiliser à nouveau pour expliciter ce qu’est ce mécanisme du rêve de la « condensation », puis un nouveau rêve que Freud lui-même à intitulé « Un beau rêve ». Il est en effet très beau. Il y est question de pommes sur un pommier. Dans le bureau de Lacan, ses analysants avaient devant les yeux, allongés sur le divan, un petit tableau que j’aimais beaucoup, un pommier avec ses pommes dans une très verte prairie.
Mais avant de lire et de travailler ce rêve, il faut absolument lire ligne à ligne cette première page de ce chapitre sur « Le travail du rêve », ce que Lacan a défini comme étant le sens premier du transfert, à savoir ce qui est, pour Freud, la transcription d’une langue dans une autre. Lacan lui donne encore une autre portée en y introduisant la question du signifianPour travailler ces deux premières pages, cela vaut également la peine de comparer les deux traductions, celle de Meyerson et de J.P Lefebvre. Je trouve que la première est plus explicite peut-être parce que moins savante. Cela vaut aussi la peine de retrouver dans le texte allemand l’usage fait par Freud de l’Übertragung.
Dans cette première page sur le travail du rêve, il y a deux occurrences de ce terme du transfert, les traducteurs ne les ont pas traduit de la même façon pourtant dans le même paragraphe : dans la première, le terme utilisé est celui de « transcription d’une langue dans une autre ». Dans la seconde, c’est celui de « traduction ». La transcription me paraît la plus intéressante et la plus juste parce qu’il y est en effet question d’écriture.
Dans la traduction de Meyerson, il s’agit de la traduction en « hiéroglyphes» et dans la traduction Lefevbre ils ont choisi le terme d’« écriture iconique ». Freud écrit en effet littéralement « einer Bilderschrift » une écriture d’images ou en images. Le rébus est aussi nommé « ein Bilderrätsel » Une énigme en images. C’est exactement ce qu’est le rêve, avant d’être mis en mots, avant d’être raconté.
Lacan rajoute donc une autre traduction de cet Übertragung, celle de transfert des signifiants sous la forme de métonymies et de métaphores ( « formules de connexion et de substitution ») .Il a évoqué ce sens premier de l’Übertragung dans son texte « L’instance de la lettre dans l’inconscient » p. 522.
« Pour interpréter l’inconscient comme Freud, il faudrait être comme lui une encyclopédie des arts et des muses, doublé d’un lecteur assidu des Fliegend Blätter. Et la tâche ne nous serait pas plus aisée de nous mettre à la merci d’un fil tissé d’allusions et de citations de calembours et d’équivoques….
Les livres que l’on peut dire canoniques en matière d’inconscient – La Traumdeutung, la psychopathologie de la vie quotidienne et le trait d’esprit dans ses rapports avec l’inconscient ne sont qu’un tissu d’exemples dont le développement s’inscrit dans les formules de connexion et de substitution…. qui sont celles que nous donnons du signifiant dans sa fonction de transfert. Car dans la Traumdeutung c’est dans le sens d’une telle fonction qu’est introduit le terme d’Übertragung ou transfert, qui donnera plus tard son nom au ressort opérant du lien intersubjectif entre l’analysé et l’analyste ».
Donc pour résumer voici donc quatre traductions ou interprétations de ce terme Übertragung, selon Freud et selon Lacan quand il le retraduit en termes de logique du signifiant, ce qu’il appelle sa linguisterie :
1 – Transcription d’une langue dans une autre (sens premier)
2 – Traduction en écriture iconique ou en hiéroglyphes
3- Transfert amoureux de l’analysant pour l’analyste
4 – Transfert de signifiants sous forme de métaphores et de métonymies « connexion et substitution)
5- Lacan a aussi apporté une autre définition du transfert très intéressante parce qu’elle intègre justement l’Interprétation, c’est celle du transfert « comme acte de parole ».