La théorie du désir est une « remise en cause du je pense donc je suis de Descartes »

 

Dans la première des occurrences du cogito cartésien, dans le séminaire des formations de l’inconscient, Lacan évoque la nocivité du cogito cartésien, mais cette nocivité semble être liée, par lui,  à notre façon de l’interpréter : « Si le thème du cogito cartésien garde assurément toute sa force, sa nocivité, si je puis dire, tient en cette occasion à ce qu’il est toujours infléchi. Ce je pense, donc je suis, il est difficile de le saisir à la pointe de son ressort, et il n’est peut-être d’ailleurs qu’un trait d’esprit ».

Cette assertion de Descartes est donc posée par lui d’emblée, comme une formation de l’inconscient, un symptôme.

 

Dans la seconde occurrence, celle du désir et de son interprétation, il inscrit le je pense donc je suis sur le graphe du désir et notamment sur la ligne haute du graphe du désir, sur la chaine signifiante inconsciente, encore appelée chaine de l’énonciation ou ligne du complexe de castration. Mais je me pose la question de savoir si cette énonciation est celle de Lacan ou bien celle de Descartes, une fois ce cogito interprété (puisqu’il avait commencé par l’inscrire au niveau du message, comme un trait d’esprit).

 

On trouve une troisième occurrence de ce je pense donc je suis  dans le séminaire du transfert. Il s’agit cette fois-ci d’une « remise en cause du je pense donc je suis de Descartes ». Là, on peut commencer à y voir un peu plus clair dans ce que vise Lacan.  Il l’énonce ainsi : avec la théorie du désir et la formule du fantasme, le sujet barré poinçon de petit a  qu’il a inscrite sur le graphe du désir, il remet en cause la théorie de la connaissance et notamment le « je pense donc je suis » de Descartes :

 

 

“Freud a écrit Hemmung, Symptom und Angst, en 1926. C’est le troisième temps de rassemblement de sa pensée, les deux premiers étant constitués par l’étape de la Traumdeutung et de la seconde topiquel. Nous allons tout de suite nous porter au cœur du problème, par lui évoqué, qui est celui du sens de l’angoisse; nous allons même aller plus loin puisque, tout de suite, nous allons partir du point de vue économique. [Le problème est] de savoir où est prise, nous dit-il, l’énergie du signal d’angoisse. Dans les Gesammelte Werke, Band XIV, page 120, je lis la phrase suivante: Das Icht zieht die (vorbewusste) Besetzung von der zu verdrängenden Triebrepräsentanz ab und verwendet sie für die Unlust­(Angst-) Entbindung. Traduction: «Le moi retire l’investissement (pré­conscient) du Triebrepräsentanz – ce qui dans la pulsion est représentant – lequel représentant est zu verdrängen à refouler et le transforme pour la déliaison du déplaisir, Unlust- (Angst-).

II est évident qu’il ne s’agit pas de tomber sur une phrase de Freud et puis de commencer à phosphorer. Si je vous y mets d’emblée, c’est après mûre réflexion. C’est par un choix soigneusement délibéré qui est fait pour vous inciter à relire, dans le plus bref délai, cet article. Pour ce qui est de notre propos, appliquons-le, portons-le tout de suite au vif de nos problèmes. J’en ai dit assez pour que vous soupçonniez que la formule structurante du fantasme, $ à a, doit être pour quelque chose dans le moment d’orientation où nous sommes. Le fantasme n’est pas seulement formulé mais évoqué, approché même, talonné même de toutes les manières. Pour montrer la nécessité de cette formule, il faut savoir que dans ce support du désir il y a deux éléments dont les fonctions respectives et le rapport fonctionnel ne peuvent d’aucune façon être verbalisés par aucun attribut qui soit exhaustif, et c’est bien pour cela qu’il me faut leur donner pour support ces deux éléments algébriques et accumuler autour de ces deux éléments les caractéristiques dont il s’agit.

Vous en savez assez pour savoir que $ a rapport avec quelque chose qui s’appelle le fading du sujet et que le petit autre, le petit a, a quelque chose à faire avec ce qu’on appelle l’objet du désir. Cette symbolisation a déjà l’importance et l’effet de vous montrer que le désir ne comporte pas un rapport subjectif simple à l’objet et que ce $ est fait pour exprimer. C’est ce qu’il ne suffit pas de dire sur ce rapport du sujet à l’objet, dont le désir implique une espèce de médiation ou d’intermédiaire réflexif, le sujet par exemple se pensant comme il se pense dans le rapport de connaissance à l’objet, on a édifié toute une théorie de la connaissance là-dessus. C’est bien d’ailleurs ce que nous faisons car la théorie du désir et faite pour remettre en cause cette théorie de la connaissance, ce qui serait bien fait pour nous faire trembler si d’autres déjà avant nous n’avaient pas déjà mis en cause le je pense donc je suis cartésien.

 

Pourtant, si on se réfère à ce qu’écrit Descartes dans l’une de ses méditations, on peut se demander si lui aussi ne s’est pas approché au plus près de ce qu’est la fantasme, en tant que face à ce Dieu qui pourrait le tromper, il est « une chose qui pense ».

Voici en effet ce qu’il écrit dans la deuxième méditation : « … il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit […]Mais moi, qui suis-je, maintenant que je suppose qu’il y a quelqu’un qui est extrêmement puissant et, si je l’ose dire, malicieux et rusé, qui emploie toutes ses forces et toute son industrie à me tromper ? Puis-je m’assurer d’avoir la moindre de toutes les choses que j’ai attribuées ci- dessus à la nature corporelle ? Je m’arrête à y penser avec attention, je passe et repasse toutes ces choses en mon esprit, et je n’en rencontre aucune que je puisse dire être en moi. Il n’est pas besoin que je m’arrête à les dénombrer. Passons donc aux attributs de l’âme, et voyons s’il y en a quelques-uns qui soient en moi. Les premiers sont de me nourrir et de marcher ; mais s’il est vrai que je n’aie point de corps, il est vrai aussi que je ne puis marcher ni me nourrir. Un autre est de sentir ; mais on ne peut aussi sentir sans le corps : outre que j’ai pensé sentir autrefois plusieurs choses pendant le sommeil, que j’ai reconnu à mon réveil n’avoir point en effet senties. Un autre est de penser ; et je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient : elle seule ne peut être détachée de moi. Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? A savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que le cesserais en même temps d’être ou d’exister. Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. Or je suis une chose vraie, et vraiment existante ; mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense ».

 

Cette chose qui pense ne peut-elle pas correspondre à l’objet a du fantasme en tant que ce sujet se fait objet de ce désir de l’Autre, cet Autre symbolisé par l’existence de ce Dieu trompeur ?

 

 

 

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