8 – L’apparition de la girafe chiffonnée comme « mise en acte du symbolique comme tel »

Lacan et le petit-HansC’est ce passage dans la séance du 2o décembre 1961 du séminaire l’Identification que l’on trouve ce commentaire de Lacan à propos de la girafe chiffonnée du petit Hans. Il en fait l’exemple même de « l’apparition du symbolique comme tel dans la dialectique psychique ».

Mais je veux tout d’abord le replacer dans son contexte. Dès les premières phrases de cette séance Lacan évoque l’automatisme de répétition. Voici comment il le définit «  C’est parce que à l’origine quelque chose s’est passé, qui est tout le système du trauma, à savoir qu’nne fois il s’est produit quelque chose qui a pris la forme A, que dans la répétiion le comportement, si complexe, engagé que vous le supposiez dans l’individualité animale, n’est là que pour faire ressurgir ce signe A. »

Il en donne comme exemple bien sûr princepts, celui de l’attaque hystérique. Ce signe A, il va le poser tout d’abord comme ce que Freud nomme Vortellungsrepräsentanz puis Lacan signifiant : «  c’est donc cet accolement structural de quelque chose d’inséré radicalement dans cette individualité vitale avec cette fonction signifiante que nous sommes dans l’expérience analytique, Vortellungsreprâsentan, c’est là ce qui est refoulé, c’est le numéro perdu du comportement tant.

C’est la qu’il embraye sur l’histoire du Petit Hans. Est-ce à dire que la girafe chiffonnée sera l’équivalent de ce signifiant refoulé, ce numéro perdu du comportement tant ?
En tout cas il reprend d’une façon pleinement développée ce qui n’est pas un rêve mais une fantaisie, une sorte de rêve éveillé, ce récit du fantasme des deux girafes. Elle semblent avoir pour Lacan une fonction polyvalente.
Je trouve assez surprenant que Lacan mette l’accent sur ces deux girafes alors que l’animal phobique du petit-Hans était avant tout le cheval. Comme si c’était lui qui avait occupé tout le devant de la scène, faisant symptôme, alors que cette girafe correspondait pourtant à l’identification symbolique du Petit-Hans, celle qu’il décrira sous la forme du trait unaire. Je ne sais pas si c’est juste mais c’est un peu comme si la girafe était le signifiant refoulé et le cheval sa manifestation symptomatique.
Il commence ainsi :
«  je vous ai parlé, il y a quelques années, du petit Hans. Il y a, dans l’histoire du petit Hans, je pense que vous en avez gardé le souvenir quelque part, l’his­toire du rêve que l’on peut épingler avec le titre de la girafe chiffonnée, zerwut­zelte Giraffe. Ce verbe, zerwutzeln, qu’on a traduit par chiffonner, n’est pas un verbe tout à fait courant du lexique germanique commun. Si wutzeln s’y trouve,e zerwutzeln n’y est pas. Zerwutzeln veut dire faire une boule. Il est indiqué dans le texte du rêve de la girafe chiffonnée que c’est une girafe qui est là, à côté de la grande girafe vivante, une girafe en papier, et que comme telle on peut mettre en boule. Vous savez tout le symbolisme qui se déroule, tout au long de cette observation, du rapport entre la girafe et la petite girafe, girafe chiffonnée sous une de ses faces, concevable sous l’autre comme la girafe réduite, comme la girafe seconde, comme la girafe qui peut symboliser bien des choses. Si la grande girafe symbolise la mère, l’autre girafe symbolise la fille, et le rapport du petit Hans à la girafe, au point où l’on en est à ce moment-là de son analyse, tendra assez volontiers à s’incarner dans le jeu vivant des rivalités familiales. je me sou­viens de l’étonnement – il ne serait plus de mise aujourd’hui – que j’ai pro­voqué alors en désignant à ce moment-là dans l’observation du petit Hans, et comme telle, la dimension du symbolique en acte dans les productions psy­chiques du jeune sujet à propos de cette girafe chiffonnée. Qu’est-ce qu’il pou­vait y avoir de plus indicatif de la différence radicale du symbolique comme tel ? sinon de voir apparaître dans la production – certes sur ce point non suggérée, car il n’est pas trace à ce moment d’une articulation semblable concernant la fonction indirecte du symbole -, que de voir dans l’observation quelque chose qui vraiment incarne pour nous, et image l’apparition du symbolique comme tel dans la dialectique psychique. « Vraiment, où avez-vous pu trouver ça ? » me disait l’un d’entre vous gentiment après cette séance. La chose surprenante, ce n’est pas que je l’y aie vu, parce que ça peut difficilement être indiqué plus crû­ment dans le matériel lui-même, c’est qu’à cet endroit on peut dire que Freud lui-même ne s’y arrête pas, le veux dire ne met pas tout le soulignage qu’il convient sur ce phénomène, sur ce qui le matérialise si l’on peut dire, à nos yeux. C’est bien ce qui prouve le caractère essentiel de ces délinéations structurales, c’est qu’à ne pas les faire, à ne pas les pointer, à ne pas les articuler avec toute l’énergie dont nous sommes capables, c’est une certaine face, une certaine dimension des phénomènes eux-mêmes que nous nous condamnons en quelque sorte à méconnaître.

Dans le paragraphe qui suit, Lacan indique alors quelle est la fonction de ce symbolique en acte sous la forme de cette girafe qu’il met en boule, elle lui sert à se protéger du danger de se faire bouffer par sa mère, cette mère dévorante.
Si on calque cette description clinique sur ce qu’il a dit de l’inscription en tant que signe de de la première fois comme trace du trauma qui se répète, on s’aperçoit alors que c’est le désir de la mère lui-même qui est de fait la source du trauma et cette girafe chiffonnée le premier trait, le Vorstellungs0repräsentanz de cet événement, refoulé et condamné à se répéter.

Voici comment évoque l’histoire clinique du Petit-Hans :
“Je ne vais pas vous refaire à cette occasion l’articulation de ce dont il s’agit, de l’enjeu dans le cas du petit Hans […] Mais la fonction comme telle, à ce moment critique, celui déterminé par sa suspension radicale au désir de sa mère d’une façon, si l’on peut dire, qui est sans compensation, sans recours, sans issue, est la fonction d’artifice que je vous ai montrée être celle de la phobie, en tant qu’elle introduit un ressort signifiant clef qui permet au sujet de préserver ce dont il s’agit pour lui, à savoir ce minimum d’ancrage, de centrage de son être, qui lui permette de ne pas se sentir un être complètement à la dérive du caprice maternel. C’est de cela qu’il s’agit […] – le petit Hans nous montre ici, sous une figure fermée certes, mais exemplaire, le saut, le passage, la tension entre ce que j’ai défini tout d’abord comme les deux extrêmes du sujet, le sujet animal qui représente la mère, mais aussi avec son grand cou, personne n’en doute, la mère en tant qu’elle est cet immense phallus du désir, terminé encore par le bec broutant de cet ani­mal vorace, et puis de l’autre quelque chose sur une surface de papier – nous reviendrons sur cette dimension de la surface -, ce quelque chose qui n’est pas dépourvu de tout accent subjectif, car on voit bien tout l’enjeu de ce dont il s’agit […] Cette belle mécanique doit nous faire sentir ce dont il s’agit, si c’est bien de son identification fondamentale, de la défense de lui-même contre cette capture originelle dans le monde de la mère, comme personne bien sûr n’en doute, au point où nous en sommes de l’élucidation de la phobie. Ici déjà nous voyons exemplifiée cette fonction du signifiant.
C’est bien là que je veux encore m’arrêter aujourd’hui, concernant le point de départ de ce que nous avons à dire sur l’identification. La fonction du signifiant, en tant qu’elle est le point d’amarre de quelque chose d’où le sujet se constitue, voilà ce qui va me faire m’arrêter un instant aujourd’hui sur quelque chose qui, me semble-t-il, doit venir tout naturellement à l’esprit, non seulement pour des raisons de logique générale, mais aussi pour quelque chose que vous devez tou­cher dans votre expérience, je veux dire la fonction du nom.

Voilà comment, le sachant ou non, Lacan retombe avec cette girafe chiffonnée sur le nom propre du Petit-Hans, Herbert Graf. Tout un espace s’ouvre, éventuellement un gouffre, celui qui concerne le Nom-du-père et son lien à la fois au nom propre du sujet et à ses symptômes.
Avec cette girafe le petit Hans se met littéralement au monde en tant que sujet.

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