« Choix de la névrose » ou de la psychose

Années 1895. Premières tentatives de Freud pour distinguer, d’une part hystérie et névrose obsessionnelle, d’autre part, névrose et psychose

Presque en même temps que ses « Etudes sur l’hystérie » qui ont été publiées en 1895, Freud avait déjà découvert, avec cette jeune science de l’inconscient qu’il était entrain d’inventer, qu’il pouvait, à partir des mécanismes de formation des symptômes hystériques, rendre également compte de la fabrication d’autres symptômes, obsessions, phobies et psychose. Ainsi faisait-il ses premiers pas dans ce repérage nécessaire de la structure et de ce qui fait la différence, d’une part entre l’hystérie et la névrose obsessionnelle et d’autre part, entre la névrose et la psychose. Ce ne sont que des premiers pas, mais ils sont quand même décisifs au moins quant à la névrose. Ces mécanismes sont décrits dans deux articles qui ont pour titre « Neuropsychoses de défense », de 1894, et « Nouvelles remarques sur les neuropsychoses de défense », de 1896.
Dans le premier texte, il réussit à décrire comment se forme un symptôme hystérique ou une obsession. Ce qui les départage, c’est la possibilité ou non de pour chacun de transformer une souffrance psychique en souffrance corporelle. Quand cette possibilité n’existe pas, ou n’est pas suffisante, cette souffrance reste dans le psychique et se traduit par des obsessions. Une obsession est une idée qui vient au sujet, sans qu’il puisse la chasser de son esprit, même si, par ailleurs, elle lui parait totalement saugrenue. De ces obsessions, Freud en donne déjà quelques exemples, l’obsession pour quelques femmes de se jeter par la fenêtre ou encore de blesser leurs enfants avec un couteau ou des ciseaux.
On ne peut se libérer de ses symptômes, hystériques, au niveau du corps, et de ses obsessions dans le psychisme, que si l’on réussit à retrouver leur sens refoulé par le travail de l’analyse. Ce sens, selon la découverte freudienne, est toujours sexuel.

Freud, en ce premier temps de son élaboration, a déjà découvert, que dans le délire, la représentation dite inconciliable qui a été littéralement arrachée hors du conscient, rejetée, forclose, dira Lacan, ne laisse aucune trace inconsciente, et revient par contre se manifester en clair dans le délire.
Tel est le délire du Président Schreber, où ce qui n’avait pas été assumé pour lui d’une position féminine par rapport au père a donc ressurgi dans son délire avec son idée d’être transformé et femme, de devenir l’épouse de Dieu et d’en recevoir des milliers d’enfants nés de son esprit.

 

Différences entre hystérie et névrose obsessionnelle

Les symptômes de ces deux névroses ont le même point de départ, une représentation inconciliable pour le moi, pour la conscience, liée à un sentiment de honte ou de culpabilité, est, de ce fait même, rejetée hors du conscient. Mais l’affect qui l’accompagnait, désarrimé de cette représentation, va, en quelque sorte, aller se fourvoyer, se fixer sur une représentation substitutive.
C’est dans le choix de cette représentation substitutive que les deux destins de la névrose vont diverger.

Dans l’hystérie se produira une « conversion somatique », c’est-à-dire que c’est au niveau du corps que sera trouvée la représentation substitutive et que se produira le symptôme, douleurs et paralysies diverses. Freud nous l’indique, l’hystérique redonne à des expressions les plus usuelles, leur sens primitif, voire archaïque : « ça m’a fait battre le cœur », « ça m’a écœuré », « les bras m’en sont tombés ».
Lorsque cette possibilité de conversion n’existe pas ou peu, la représentation substitutive reste alors dans le psychique et se manifeste sous forme d’idées obsédantes.
Ce double chemin mérite d’être retracé pas à pas :
« Le moi qui se défend, écrit Freud, se propose de traiter comme « non arrivée » la représentation inconciliable, mais cette tache est insoluble de façon directe ». En effet la trace mnésique de cet événement dit traumatique ne peut plus être effacée. On parvient quand même à transformer cette « représentation forte » en représentation faible en lui « arrachant l’affect qui lui était attaché ». Mais « la somme d’excitation est reportée dans le corporel, processus pour lequel je donnerais le nom de conversion […] Nous voyons ainsi que le facteur caractéristique de l’hystérie n’est pas le clivage de conscience (thèse de Janet) mais la capacité de conversion et nous poserons qu’une partie importante de la disposition à l’hystérie (disposition par ailleurs inconnue) réside dans l’aptitude psychophysique à transposer de grandes sommes d’excitation dans l’innervation corporelle »
A ce stade de la découverte de Freud la caractérisation de la névrose obsessionnelle se fait par rapport à l’hystérie et de façon négative, c’est l’absence de possibilité de cette conversion ou transposition dans le corporel qui constitue la spécificité de cette névrose :
« Lorsqu’il n’existe pas chez une personne prédisposée, cette aptitude à la conversion, et si néanmoins, dans un but de défense contre une représentation inconciliable, la séparation de cette représentation et de son affect est mise en œuvre, alors cet affect doit rester nécessairement rester dans le domaine psychique. La représentation désormais affaiblie demeure dans la conscience à part de toutes les associations, mais son affect devenu libre s’attache à d’autres représentations, en elles-mêmes non inconciliables, qui, par cette fausse connexion, se transforment en représentations obsédantes. Voilà en peu de mots la théorie psychologique des obsessions et phobies dont j’ai parlé au début de cet article. »
Freud résume donc ce mécanisme de formation d’une obsession : devant un événement toujours d’ordre sexuel, pour refouler hors du conscient une représentation inconciliable, se produit « une séparation de la représentation d’avec son affect et une fausse connexion de ce dernier ».
En voici un exemple donné par Freud dans ce même texte :
Une femme avait contracté le besoin de compter toujours les marches de l’escalier ou les lattes du plancher. Or, nous indique Freud, elle avait commencé à compter pour se distraire de ses idées obsédantes de tentation. Freud ne nous dit pas, si ces idées de tentation, bien sûr sexuelles, étaient conscientes pour elle, ou si elles avaient déjà subi une première transformation et s’exprimaient, par exemple, par la crainte de se jeter par la fenêtre. Cette compulsion peut en effet être rapprochée de ce qu’il appelle, « phobie de la fenêtre » et qui est analysée par lui dans l’une des lettres de Freud adressée à Fliess. L’idée inconsciente qui s’exprimerait dans cette compulsion ou cette phobie, est simplement le désir de faire signe à un homme par la fenêtre, lui faire signe de monter, comme le ferait une prostituée. On peut se demander si de nos jours, cette idée aurait encore cours. Sans nul doute les fantasmes de prostitution sont très présents dans l’inconscient d’une femme, mais peut-être prendraient-ils une autre forme, plus rude, plus directe.
Différence entre névroses et psychoses

En cette première tentative d’approche de la radicale différence de structure entre la névrose et la psychose, voici comment Freud la décrit :
Par rapport à ce qui se passe dans la névrose, « il existe pourtant une espèce beaucoup plus énergique et efficace de mode de défense. Elle consiste en ceci que le moi rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se comporte comme si elle n’était jamais parvenue jusqu’au moi. Mais au moment où ceci est accompli, la personne se trouve dans une psychose qu’on ne peut classifier que comme confusion hallucinatoire.

La représentation qui était donc maintenue dans la névrose, encore que dépourvue de son affect, et refoulée, dans la psychose est rejetée.
Mais Freud rajoute cet élément clinique d’importance : « J’attire l’attention sur le fait que la contenu d’une psychose hallucinatoire… consiste précisément en la mise en place au premier plan de cette représentation ». Freud, en ce premier temps de l’élaboration de la psychanalyse, a déjà découvert, que dans le délire, la représentation dite inconciliable qui a été littéralement arrachée hors du conscient, ne laisse aucune trace inconsciente, et revient par contre se manifester en clair dans le délire. Tel est le délire du Président Schreber où ce qui n’avait pas été assumé par lui d’une position féminine par rapport au père a donc ressurgi dans son délire avec son idée d’être transformé en femme, de devenir l’épouse de Dieu et d’en recevoir des milliers d’enfants nés de son esprit. Ainsi cette première approche de Freud, en sa nouveauté, préfigure-telle ce que Lacan avancera plus tard de la forclusion du Nom du père, comme étant un mécanisme propre à la psychose.

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