Psychanalyse

Le symptôme d’un latiniste en herbe

Dans une lettre adressée à Fliess, au moment même où il invente, pas à pas, la psychanalyse, Freud pose à la fois les similitudes et les différences entre les rêves et les symptômes : « Ce n’est pas seulement le rêve qui est réalisation de désir mais aussi l’accès hystérique… je crois savoir maintenant par quoi se distingue le rêve du symptôme qui s’institue à l’état de veille. Puisque le rêve est maintenu loin de la réalité, il lui suffit d’être la réalisation de désir d’une pensée refoulée. Mais le symptôme, lui mêlé à la vie, doit être autre chose : la réalisation de désir de la pensée refoulante. Un symptôme apparaît là où la pensée refoulée et la pensée refoulante peuvent coïncider dans une réalisation de désir… le symptôme représente la réalisation de deux désirs contradictoires. »[1]

Le symptôme d’un latiniste en herbe, que Freud décrit dans la foulée, illustre justement l’existence  de ces deux désirs contradictoires qui collaborent à la formation du symptôme.

La condensation « Hearsing » dans le rêve de Freud, un voyage en bateau avec deux escales

 Ce nouveau rêve de Freud (page 340)  ne nous livre  que des fragments d’association d’idées mais on voit cependant comment ces dites associations suivent les lois de cette « chimie des syllabes » qu’il évoque dans sa note. Le texte du rêve, «  assez débridé », n’est pas donné, il s’agit d’une sorte de voyage en bateau, deux escales ont pour nom Hearsing et Fliess. On remarque que dans ce rêve il y a des noms propres, le sien, celui de Fliess et enfin celui de son confrère Bechterew. Mais dès qu’il y un confrère surgit son frère aussi.

La condensation de Hearsing est mise en gras dans le texte. Elle se décompose en Hearsay ( oui-dire et calomnie) qui le conduit vers la source occasionnelle du rêve tandis que C’est la deuxième partie de la condensation, la terminaison ING qui le mène à l’interprétation de son rêve par le biais de son association avec Fliess, Fliess-ing qui glisse du F vers le V, avec Vlissingen, port d’arrivée de son frère quand il vient les voir. Une fois traduit en anglais ce port devient un verbe « Flusching », rougir et de fil en névrose, nous tombons sur cet article de Bechterew qui a eu le don de contrarier Freud et de l’énerver.

L’hystérie ou « l’art de saisir le symptôme de l’Autre au vol »

Bienvenue sur ce site de podcasts  » une psychanalyse à fleur d’inconscient ». J’ai choisi aujourd’hui de vous parler de l’hystérie et de sa place essentielle dans la psychanalyse. Dans un texte tardif de son enseignement qui a pour titre «  Joyce le symptôme ». Lacan évoque l’hystérie de Socrate et de la façon dont il saisissait « le symptôme de l’autre au vol » mais tout en soulignant que, l’analyste, doit savoir, lui aussi, saisir le symptôme de l’autre au vol pour pouvoir l’interpréter. Il fait ainsi de Socrate, en une seule phrase, le modèle de tous les hystériques mais aussi de tous les analystes.

 Je le cite : « Socrate, parfait hystérique, était fasciné du seul symptôme saisi de l’autre au vol. Ceci le menait à pratiquer une sorte de préfiguration de l’analyse. Eût-il demandé de l’argent pour ça au lieu de frayer avec ceux qu’il accouchait que c’eût été un analyste, avant la lettre freudienne. Un génie quoi !  Le symptôme hystérique, je résume, c’est le symptôme pour LOM de s’intéresser au symptôme de l’autre comme tel : ce qui n’exige pas le corps à corps. Le cas de Socrate le confirme, exemplairement ».  Je trouve très belle cette expression de l’hystérie comme étant, en somme, l’art de saisir le symptôme au vol.

Le rêve de l’ancêtre du téléphone avec la condensation « tutelrein »

Voici le texte du rêve où cette condensation de mots est mise en exercice et sa présentation : « Un jeune homme chez qui une de ses connaissances a sonné tard le soir pour remettre une carte de visite, rêve la nuit suivante : un commerçant attend tard le soir pour régler le télégraphe domestique ( Zimmertelegraf). Après qu’il est parti, ça sonne toujours, non pas de manière continue, mais par à-coups isolés. Le serviteur va rechercher l’homme, et celui-ci dit : c’est quand même bizarre que même des gens qui par ailleurs sont tutelrein, ne s’y entendent pas à gérer ce genre de situation ».

L’analyse de Freud s’exerce à plusieurs niveaux. Il nous explique en effet que la cause occasionnelle du rêve, ce coup de sonnette de la veille, n’arrive en effet à la signification qu’en venant se substituer à une autre sonnerie celle du Zimmertelegraf. Freud évoque en effet un incident antérieur, celui où jeune garçon il avait empêché son père de dormir en renversant un verre d’eau sur les fils du télégraphe et avait déclenché ainsi une sonnerie continue.

Quand Freud critique, dans son rêve, le style « norekdal » de son cher confrère

Le premier de ces deux rêves qu’on peut qualifier de rêves-charabias se trouve page 338 de la version J.P Lefebvre. Dans le chapitre  » Le travail du rêve » et dans le sous chapitre A- Le travail de condensation. Freud, dans ce chapitre, reprend le rêve de la monographie botanique parce qu’il est déjà interprété, pour décrire ce mécanisme de formation du rêve qu’est la condensation. Il démontre en effet comment toutes les pensées du rêve viennent toutes converger vers ces deux représentations verbales que sont « la monographie botanique ».

Il prend ensuite pour exemple le rêve des scarabées de mai, puis on trouve deux rêves que l’on peut qualifier de rêves /charabias où au cœur même du rêve se trouve une néoformation composée de plusieurs mots qui s’emboutissent les uns dans les autres.

Ces deux rêves sont introduits par cette phrase  de la 337. «  C’est quand il a choisi les mots et les noms destinés à ses objets que le travail de condensation du rêve est le plus tangible. D’une manière générale, les mots sont fréquemment traités comme des choses par le rêve et connaissent alors les mêmes combinaisons que les représentations de choses. Il résulte de ce genre de rêves des créations verbales drôles et bizarres. » Ce sont ces représentations verbales qu’il illustre avec ces deux rêves.

Pour interpréter ce premier rêve, il commence par son contexte, à savoir ce qui l’a occasionné la veille. C’est souvent à partir de là que commence l’interprétation. «  Un jour qu’un confrère m’avait fait parvenir un article de sa main dans lequel une découverte physiologique de l’époque moderne était à mon sens surestimée et surtout traitée en un style ampoulé, j’ai rêvé la nuit suivante d’une phrase qui manifestement faisait référence à ce traité : «c’est un style véritablement norekdal ».

Lectures à propos de l’écriture de Joyce

Je me suis mise à lire un peu  tout ce qui s’est écrit à propos de Joyce et, sans compter l’indispensable biographie de Joyce en deux volumes rédigée par Ellmann,  j’ai trouvé trois livres que j’ai trouvé intéressants par rapport à l’approche qu’en a faite Lacan.

Un livre d’Eugène Jolas, qui a aidé Joyce, et quand je dis aidé,  c’est pour de bon, effectivement, dans sa rédaction de Finnegans Wake. Un autre de Frank Budgen qui, lui,  l’a aidé à mettre en forme Ulysse. Enfin le troisième c’est celui d’un de ses confrères, Vladimir Nabokov,  l’auteur de Lolita. L’ouvrage de Nabokov a pour nom «  Proust, Kafka, Joyce ». Il fait de cet Ulysse de Joyce, presque un roman policier dont l’intrigue porte sur un personnage énigmatique l’Homme au mackintosch.
Le livre de Frank Budgen s’appelle « James Joyce et la création d’Ulysse ». Celui d’Eugène Jolas, « Sur Joyce ».

La métaphore et la condensation dans le travail du rêve

Dans son article très important des Écrits, « L’instance de la lettre dans l’inconscient », il me semblait bien que Lacan posait comme équivalentes, dans le travail du rêve, la condensation et la métaphore. Or, à une lecture attentive de ce qu’est, pour Freud, la condensation, dans ce chapitre intitulé « Le travail du rêve » et notamment en reprenant tous les signifiants du rêve de l’injection faite à Irma, il semble bien que les deux termes ne sont quand même pas tout à fait équivalents ou superposables. En effet la métaphore est bien une condensation, mais il y a d’autres formes de condensations que celle de la métaphore. Par exemple quand Freud indique que sous le personnage d’Irma se cache en fait toute une longue série des femmes dans la vie de Freud, ses amies, ses analysantes, sa fille et enfin sa femme. Il en va de même du personnage d’Otto. Il y a bien en effet une condensation de tous les personnages mais est-ce pour autant une métaphore à savoir la substitution d’un signifiant par un autre signifiant avec effet de signifié ?

« Un beau rêve »

Dans ce chapitre VI, «  Le travail du rêve », pour décrire ce qu’est le mécanisme de formation du rêve qu’est la condensation Freud prend appui sur trois rêves, le rêve de la monographie botanique qui lui sert en quelque sorte de modèle, puisqu’il est déjà interprété, et deux autres rêves qu’il va interpréter devant nous, celui intitulé « un beau rêve » et aussi le rêve d’une femme obsessionnelle, nommé « rêve du hanneton » ( Bientôt on ne saura même plus ce qu’est un scarabée ou un hanneton, ils auront tous disparu).

Ces deux rêves ont un grand intérêt parce qu’on voit comment Freud s’y prend pour analyser les rêves qui ne sont pas les siens. Comment il y intervient avec ses propres associations notamment.

De plus ce qui sert de fil de lecture de ces pages sur le travail du rêve, ses procédés de fabrication, ce sont ces vers de Goethe sur les mille et un fils d’un tissage :

« Une poussée du pied mobilise mille fils,

Et les navettes filent par-dessus, par-dessous,

Les fils s’écoulent sans qu’on les ait vus,

D’un coup mille liens entre les fils se nouent. »

Voici le texte de ce « Un beau rêve »

«  Une voiture l’emmène, en nombreuse compagnie, dans la rue X. où se trouve une modeste auberge-pension ( ce qui n’est pas exact) Dans les pièces de celle-ci, on joue du théâtre ; il est tantôt public, tantôt comédien. A la fin on lui dit qu’il faut se changer pour revenir en ville. Une partie du personnel est commise aux pièces du rez-de-chaussée, l’autre envoyée dans les pièces du premier étage. Survient alors une querelle. Ceux du haut sont fâchés que ceux du bas n’aient pas fini et qu’ils ne puissent donc pas descendre. Son frère est en haut, lui est en bas. Fâché contre son frère qu’on soit pressé de la sorte. ( Cette partie n’est pas claire). On avait, au demeurant, dès l’arrivée, défini et réparti qui devrait être en haut et qui devait être en bas. Il monte ensuite seul la côte que la rue X. franchit en direction de la ville, et marche si lourdement, si péniblement qu’il ne bouge pas de l’endroit où il est. Un monsieur d’un certain âge vient l’accompagner en proférant des injures sur le roi d’Italie. A la fin de la côte il marche alors bien plus facilement.

Le transfert comme « transcription d’une langue dans une autre »

Le chapitre VI de l’Interprétation du rêve est intitulé «  Le travail du rêve ». Dans les chapitres précédents, Freud partait toujours du texte du rêve, de son contenu manifeste pour tenter d’y retrouver ce qu’il appelle « les pensées du rêve ». Dans ce chapitre, il inverse la démarche, il part en effet des pensées du rêve pour décrire comment elles trouvent à s’exprimer et quels sont les mécanismes qui sont à l’oeuvre dans la formation du rêve, sa fabrication sous forme de rébus.Nous y retrouverons à la fois le rêve de la monographie botanique que Freud va utiliser à nouveau pour expliciter ce qu’est ce mécanisme du rêve de la « condensation », puis un nouveau rêve que Freud lui-même à intitulé «  Un beau rêve ». Il est en effet très beau. Il y est question de pommes sur un pommier. Dans le bureau de Lacan, ses analysants avaient devant les yeux, allongés sur le divan, un petit tableau que j’aimais beaucoup, un pommier avec ses pommes dans une très verte prairie.

Un rêve de Freud, « orateur perpétuel faisant de l’obstruction au parlement »

Les rêves qui se trouvent dans ce nouveau chapitre, page 309 de la version J.P Lefebvre, ne sont là que pour mettre en évidence le fait que les rêves sont toujours égoïstes et sont des célébrations du Moi du sujet. C’est toujours lui le héros du rêve.

Celui que Freud décrit, page 310, rappelle un peu le rêve de la monographie botanique. Là encore c’est un livre exposé dans la vitrine d’un libraire qui provoque son rêve : « Le nom de la nouvelle collection est : orateurs (ou discours) célèbres, et le numéro 1 de la série porte le nom du docteur Lecher. » Comme ce fragment du texte est mis en italique, cela suppose que c’est le texte même du rêve. Il est donc très court.

Dans l’analyse de ce rêve, Freud s’étonne de l’intérêt qu’il porte à ce dénommé Lecher. Il le définit en effet comme « l’orateur perpétuel de l’obstruction allemande au parlement ». C’est donc un incorrigible parleur ou orateur mais qui ne le fait que pour empêcher les autres de parler. De fait, ce Lecher,  c’est lui,  Freud, obligé de parler plusieurs heures par jour avec de nouveaux analysants.

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