Freud va répondre aux arguments de tous ceux qui objectent à son approche du rêve comme étant une satisfaction de désir, en avançant l’existence des rêves d’angoisse. A cela il rétorque qu’il faut tenir compte de l’existence du contenu manifeste et du contenu latent du rêve. Il écrit « il est juste qu’il existe des rêves dont le contenu manifeste est de l’espèce la plus pénible. Mais quelqu’un a-t-il jamais tenté d’interpréter ces rêves, d’en mettre au jour le contenu latent ? Or, si ce n’est pas le cas, les deux objections ne nous touchent plus ; il demeure malgré tout possible que même les rêves pénibles et les rêves d’angoisse s’avèrent après interprétation être des satisfactions de désir. »
Rêves tout simples et rêves d’enfants
Dans ce chapitre III intitulé « le rêve est une réalisation de désir », Freud décrit quelques rêves qu’il qualifie de « simples ». Et bien sûr on peut se poser la question de ce qu’il entend par là. De la série d’exemples qu’il donne, il me semble qu’on peut en déduire qu’ils sont simples à déchiffrer et donc à interpréter. Ils ne font pas mystère du désir qui s’y exprime. Celui-ci n’est pas masqué, déguisé, comme il le précisera dans le chapitre suivant sous le titre la « défiguration du rêve ».
Ces caractéristiques étant posées on peut aisément les retrouver dans quelques-uns des rêves décrits, le premier rêve de soif que Freud raconte avant celui du rêve de l’urne cinéraire, mais aussi dans tous les petits rêves d’enfants où quelques-unes des frustrations de la journée se transforment en désirs réalisés dans les rêves de la nuit. Ils s’y expriment tous de façon explicite et ne recèlent aucun mystère.
Rêves de soif
A l’orée de ce nouveau chapitre, chapitre III ayant pour titre « Le rêve est une satisfaction de désir » Freud devient lyrique. Il admire le paysage qui se présente devant lui, prend le temps de choisir les chemins qu’il empruntera, se réjouit surtout de l’exploit accompli. On le sent heureux et il y a de quoi : « Quand au sortir d’un nouveau chemin creux on débouche soudain sur une hauteur où les chemins se divisent et où s’offrent au regard dans des directions différentes les perspectives les plus riches, on a bien le droit de se poser un instant et de se demander de quel côté on va d’abord tourner ses pas. Quelque chose de semblable nous arrive à présent, maintenant que nous avons passé le cap de cette première interprétation d’un rêve. Nous sommes dans la grande clarté d’une révélation soudaine». Arrivé au sommet, Freud admire le panorama qui se présente à lui.
Une approche du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique dans le rêve de l’injection faite à Irma
Dans le séminaire « Le Moi dans la théorie de Freud et de la technique analytique », Lacan consacre une dernière séance, celle du 16 mars 1955, au rêve de l’injection faite à Irma. Beaucoup de fils peuvent être suivis et notamment celui de la question de la régression, mais j’ai choisi de mettre l’accent sur un point qui va continuer à nous servir de façon efficace dans notre lecture de tous les rêves de l’Interprétation des rêves, la façon dont Lacan repère dans ce rêve les trois registres du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique et surtout comment ils sont en quelque sorte noués l’un aux deux autres.
Pas question d’analyser Freud, pourtant…
Dans cette séance du 9 mars 1955, Lacan continue donc son analyse du rêve de Freud, le rêve de l’injection faite à Irma, et on peut se poser une question qui me semble importante à propos de ce qu’il dit de cette analyse après-coup, au début de cette même séance et à la fin. Les deux approches paraissant, au moins au premier abord, contradictoires.
Voici la première : « Entendez bien que je ne suis pas entrain de refaire l’analyse du rêve de Freud après Freud lui-même. Ce serait tout à fait absurde. Pas plus qu’il n’est question d’analyser les auteurs défunts il n’est question d’analyser Freud mieux que Freud son propre rêve.
Une vision d’horreur, la gorge d’Irma
Dans la séance précédente, celle du 9 février 1956, Lacan a commencé à lire ce rêve de l’injection faite à Irma avec l’aide du schéma L. Il inscrit ainsi sur l’axe imaginaire du schéma (du petit autre au moi), toute la première partie de ce rêve où Freud s’identifie avec toute la série des femmes puis des hommes qui ont été invités à discuter avec lui de l’état de santé d’Irma. sur l’axe symbolique (du grand A au S), Il inscrit ce qu’il appelle « sa conversation inconsciente avec Fliess, ce qui correspond donc à son auto-analyse. Nous avons donc là une première vue d’ensemble de la structure de ce rêve.
Dans cette seconde séance du 9 mars 1956, il indique : « ce rêve nous allons le prendre avec notre point de vue de maintenant » et donc notamment avec la notion du signifiant et surtout avec les trois registres du symbolique, de l’Imaginaire et du Réel.
Lacan relit le rêve de l’injection faite à Irma avec le schéma L
Séance du 9 février 1955
Quand on commence à lire une séance du séminaire on ne sait jamais où elle va nous entraîner. Comme je voulais un peu replacer à nouveau ce rêve de l’injections faite à Irma, tel que Lacan s’y intéresse dans ce séminaire, je me suis aperçue qu’il prend cette question du rêve d’une façon inversée par rapport à celle de Freud.
Je m’explique, Freud commence par présenter matériellement ce qu’est l’interprétation d’un rêve, avec ce rêve de l’injection faite à Irma, avant même d’avancer son schéma de l’appareil psychique dans le chapitre VII du livre.
Lacan prend le chemin inverse, dans cette première séance qu’il consacre à l’analyse de ce rêve, celle du 9 février 1956, il décrit d’abord ce qu’il en est des différents temps d’élaboration de cet appareil de l’Esquisse à la Traumdeutung et s’arrête longuement sur les difficultés qu’a rencontré Freud pour rendre compte de l’état de conscience, ce qu’il appelle le système perception conscience. Il explique par une jolie métaphore, que ces appareils ne sont que les « premiers battements d’ailes de Freud » et que ce qui ne lui permettait pas de résoudre le problème c’est le fait qu’il n’avait pas encore pris en compte la question du narcissisme.
La forme figurative du rêve
Dans cette séance du 9 mars 1955 du séminaire « Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique analytique » Lacan reprend le rêve de l’injection faite à Irma, mais tout d’abord il apporte une précision importante concernant ce que Freud appelle « les images visuelles » et qu’il définit comme des perceptions ou encore à proprement parler des « hallucinations visuelles » qui surgissent dans les rêves. Lacan les remet en effet en question ainsi d’ailleurs que ce que Freud qualifie de régression. Il pense que Freud a été contraint d’émettre cette hypothèse en raison même des insuffisances du premier schéma de son appareil psychique, celui qu’il a inventé entre perception et conscience dans l’Esquisse. Il les remet en question en précisant qu’il ne s’agit pas de perceptions dans le rêve mais d’images, donc du « figuratif » et à proprement parler de l’imaginaire. Selon lui «si le terme d’imaginaire avait pu être employé…
Ces énigmatiques « représentations » du rêve
L’ambiguïté de ces termes « vorstellungen » traduits en français par « représentations » est développée dans cette partie de la littérature sur le rêve qui a pour titre « Les particularités psychologiques du rêve ». Deux rêves de Maury nous emmènent en voyage et notamment sur l’île de Gilolo1 et servent à les cerner.
1 – La partie du texte qui suit décrit bien le fait que ces représentations du rêve sont tout d’abord des images visuelles : « Les auteurs dont je reproduis ici le point de vue se représentent la formation des rêves à peu près de la manière suivante : la somme des stimuli sensoriels agissant pendant le sommeil à partir des différentes sources mentionnées à un autre endroit éveillent d’abord dans le psychisme un certain nombre de représentations qui se présentent d’abord comme des hallucinations (lesquelles seraient plutôt pour Wundt des illusions en raison des de leur provenance de stimuli externes et internes ). Ces représentations se lient les unes aux autres selon les lois d’association bien connues, et éveillent de leur côté, selon les mêmes règles, une nouvelle série de représentations (d’images). »
Les Images du rêve

Ce chapitre « Particularités psychologiques du rêve » est vraiment très intéressant car Freud souligne trois points d’une extrême importance. Tout d’abord, il emprunte à Fechner ce qui deviendra pour lui « L’Autre scène du rêve » qui ne peut être domiciliée dans aucune localisation anatomique mais dans ce qu’il appelle « l’appareil psychique ». (p.83, traduction Lefebvre).
En second point, il décrit le rêve comme cette transformation, sur cette scène du rêve, des traces mnésiques, des représentations, en images visuelles qui non seulement existent en elles-mêmes mais sont aussi dramatisées, organisées en scénario.
Freud souligne de plus qu’à ce scénario on y croit, on croit à sa réalité. Il utilise le terme de crédulité à propos de ce qui arrive dans le rêve. ( à ce propos, je me demande quelle différence il y a entre la croyance et la crédulité)
Toute la question, à propos de ce second point est donc de savoir quel est ce lien entre ces tenant-lieux de la représentation et ces images. A cela on peut commencer à répondre en se rappelant que Freud a affirmé que le rêve est un rébus. Je pense que nous allons le retrouver dans le texte de l’Interprétation et que donc deviner ce que veut dire le rébus, d’épeler les mots qui correspondent aux images qui permettent donc de le lire, sera une façon de retrouver ces représentations mnésiques qui s’y trouvent cachées.