Lacan et les rêves

La vieille dame qui, dans son rêve, n’arrêtait pas de tomber

Cette vieille dame est la même qui, dans la page précédente, était toujours pressée. D’ailleurs dans ce premier rêve elle est bousculée et tombe.  Freud nous présente ce second rêve pour mettre en évidence le fait que le contenu manifeste de ce rêve est en lien non pas avec un seul souvenir d’enfance, mais avec plusieurs. Ils sont tous des souvenirs de chute.

« Elle sort faire des commissions en tout hâte. Après quoi, sur le Graben, elle tombe à genou, comme effondrée. Une foule de gens se rassemble autour d’elle, notamment des cochers de fiacres ; mais personne ne l’aide à se relever. Elle fait, en vain, de nombreuses tentatives ; finalement il faut bien que ça ait réussi, car on l’assied dans un fiacre sensé la ramener chez elle : par la fenêtre on lui lance encore un grand panier lourdement rempli (qui ressemble à un panier de courses). » (p. 242 L’Interprétation du rêve, traduction J.P Lefèbvre)

Le rêve de l’établissement orthopédique

Ce rêve du paragraphe II de ce chapitre « Matériau et sources du rêve » permet à Freud de démontrer comment dans le contenu manifeste du rêve on trouve toujours une « allusion » à un souvenir d’enfance, souvenir qui est toujours aussi à la source du rêve.

Voici le texte de ce rêve :

Elle est dans une grande pièce où il y a toutes sortes de machines, un peu du genre de celles se représente comme un établissement orthopédique. Elle entend qu’on lui dit que je n’ai pas le temps et qu’il faut qu’elle suive le traitement en même temps que cinq autres. Mais elle n’est pas d’accord et ne veut pas se coucher dans le lit – ou ce qui en tient lieu – qui lui est destiné. Elle reste debout dans un coin et attend que je dise que ce n’est pas vrai. Les autres pendant ce temps, se moquent d’elle en disant qu’elle fait des simagrées. – Avec ça : comme si elle faisait plein de petits carrés. »

Freud nous indique que la première partie de ce rêve est en lien avec l’analyse et concerne le transfert, la seconde partie concerne, elle, un souvenir d’enfance. C’est le lit qui fait le lien entre les deux parties.

Une approche de la « traversée du fantasme fondamental » et de son au-delà, celui de la pulsion

Dans ces trois pages de l’interprétation du rêve( p.230 à 233) se trouvent donc trois souvenirs-écrans de Freud qui alimentent au sens propre et au sens figuré pour l’un d’eux, le contenu manifeste de ces rêves.

Nous avons donc le souvenir-écran de la confusion des deux mots, « reissen » et « reisen », puis de celui qui provoqué le rêve de la monographie botanique. Par rapport à la première analyse de ce rêve, on peut se demander ce que, dans ce passage, Freud apporte de nouveau, à part ce lien indéfectible qu’il établit entre le rêve et le souvenir-écran qui témoigne de son origine infantile, celui où son père leur avait confié un livre à déchirer feuilles à feuilles, comme on effeuille un artichaut. Il me semble que c’est peut-être la certitude qu’il a de sa réalité en prenant appui justement sur la longue chaîne métonymique qu’il cite «  Cyclamen-fleur préférée- plat préféré-artichaut-retirer les feuilles comme pour un artichaut, une à une – herbier – ver bibliophage dont les plats préférés sont des livres. »

Freud ne dit pas tout du secret dernier de ce rêve et de ce souvenir écran qui le contient mais il nous dit : «  … je puis assurer que le sens ultime du rêve, que je n’ai pas développé ici, est en très intime relation avec le contenu de la scène infantile ».

Lacan relit le rêve de la bougie qui ne tenait pas bien

Dans le séminaire des formations de l’inconscient, séance du 14 mai 1958, Lacan continue à construire tous les étages du graphe du désir avec l’aide, entre autres, de quelques rêves tirées de L’interprétation du rêve, dont celui de la Reine de Suède derrière ses volets fermés. Plus précisément cette fois-ci, il me semble qu’il étaye la lettre petit d de ce graphe en tant qu’il le spécifie, cette fois-ci, d’être désir du grand Autre.

Lacan indique ceci : « On peut mentionner un troisième rêve que je n’ai pas eu le temps d’aborder la dernière fois, que je peux bien vous lire maintenant. «  Elle place une bougie dans un chandelier. La bougie est cassée, de sorte qu’elle tient mal. Les petites filles de l’école disent qu’elle est maladroite ; mais la maîtresse dit que ce n’est pas de sa faute ». Dans ce cas encore, voici comment Freud rapporte ce rêve aux faits réels «  Elle a bien mis hier une bougie dans le chandelier ; mais celle-ci n’était pas cassée ». Cela est symbolique. A la vérité on sait ce que signifie cette bougie : si elle est cassée, si elle ne tient pas bien, cela indique l’impuissance de l’homme ». Et Freud souligne «  ce n’est pas de sa faute » […]

L’important c’est qu’ici nous voyons apparaître alors à l’état nu, si je puis dire, et isolé, à l’état d’objet partiel, sinon volant, le signifiant phallus et que le point qui est important […] est évidement ici dans « ce n’est pas de sa faute ».

Lacan relit le rêve de celle qui refusait de faire accorder le piano

Dans la séance du 7 mai 1958 du séminaire Les formations de l’inconscient, Lacan reprend donc les trois rêves de cette analysante de Freud, cette jeune femme réservée, « du type de l’eau qui dort ».

Il indique, après avoir étudié le premier de ses rêves, celui où elle était arrivée trop tard au marché, le contenu manifeste du second «  Nous allons maintenant prendre le deuxième rêve […] Son mari demande : ne faut-il pas faire accorder le piano ? Ce n’est pas la peine ! Cela veut dire quelque chose comme ça ne paye ! Il faut d’abord le faire recouvrir. C’est la répétition d’un événement réel du jour précédent… »

Lacan relit le rêve de celle qui était arrivée trop tard au marché

La place du signifiant phallique

Dans deux séances du séminaire Les formations de l’inconscient, celle du 7 mai et du 14 mai 1958  Lacan reprend les trois rêves de cette jeune femme hystérique qui était arrivée trop tard au marché et avait trouvé la boucherie fermée. Il évoque tout d’abord, à ce propos, le plaisir qu’il a à relire et travailler cet ouvrage de ‘Interprétation du rêve. «  Je dois dire que ce n’est pas aujourd’hui que j’en fait la remarque : on est émerveillé de ce texte de la Traumdeutung. On est émerveillé comme une sorte de miracle parce que ce n’est vraiment pas trop dire qu’on peut le lire comme une pensée en marche. Mais c’est bien plus encore : les choses sont amenées dans des temps qui correspondent à plusieurs plans, surdéterminés […] la portée de ce qui vient en premier dépasse de beaucoup les raisons qui sont données pour les mettre en premier dans les titres. »

C’est en effet ce qu’il va démontrer tout d’abord avec le premier rêve. Il le reprend dans le droit fil de son analyse du rêve de la belle bouchère. Avec ce rêve il avait dessiné sur le graphe du désir, la fonction du désir insatisfait, en tant qu’il assure en quelque sorte ce qu’il appelle un au-delà de la demande, la nécessité de l’aire du désir. Avec le rêve de celle qui était arrivée trop tard au marché. Il explicite ce qu’est pour lui le phallus, à savoir un signifiant et l’inscrit sur la ligne haute du graphe du désir qu’il définit aussi (et entre autres définitions) comme étant justement la ligne du complexe de castration.

Une approche du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique dans le rêve de l’injection faite à Irma

Dans le séminaire « Le Moi dans la théorie de Freud et de la technique analytique », Lacan consacre une dernière séance, celle du 16 mars 1955, au rêve de l’injection faite à Irma. Beaucoup de fils peuvent être suivis et notamment celui de la question de la régression, mais j’ai choisi de mettre l’accent sur un point qui va continuer à nous servir de façon efficace dans notre lecture de tous les rêves de l’Interprétation des rêves, la façon dont Lacan repère dans ce rêve les trois registres du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique et surtout comment ils sont en quelque sorte noués l’un aux deux autres.

Une vision d’horreur, la gorge d’Irma

Dans la séance précédente, celle du 9 février 1956, Lacan a commencé à lire ce rêve de l’injection faite à Irma avec l’aide du schéma L. Il inscrit ainsi sur l’axe imaginaire du schéma (du petit autre au moi), toute la première partie de ce rêve où Freud s’identifie avec toute la série des femmes puis des hommes qui ont été invités à discuter avec lui de l’état de santé d’Irma. sur l’axe symbolique (du grand A au S), Il inscrit ce qu’il appelle « sa conversation inconsciente avec Fliess, ce qui correspond donc à son auto-analyse. Nous avons donc là une première vue d’ensemble de la structure de ce rêve.

Dans cette seconde séance du 9 mars 1956, il indique : «  ce rêve nous allons le prendre avec notre point de vue de maintenant » et donc notamment avec la notion du signifiant et surtout avec les trois registres du symbolique, de l’Imaginaire et du Réel.

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