Dans le séminaire d’Un discours qui ne serait pas du semblant Lacan prend appui sur le graphe du désir pour rappeler que l’écrit n’est jamais premier mais second par rapport à la parole et que donc ce graphe ne peut pas être abordé d’emblée mais repris pas à pas dans le fil de sa parole tout au long de ses années de séminaire. Ce n’est en effet que par rapport à cette parole qu’on peut donner sens à l’ensemble de ces trajets et surtout à toute la série de petites lettres qui sont incrites à leurs points de croisement. Par contre, une fois construit pas à pas, c’est alors qu’il peut prendre son efficace en interrrogeant de façon renouvelée ce qu’il en est de la clinique analytique car il en constitue l’assise logique.
« L’écrit n’est pas premier mais second par rapport au langage »
Il le dit et le répète : « C’est de la parole bien sûr que se fraie la voie vers l’écrit. Mes Ecrits, si je les ai intitulés comme ça, c’est qu’ils représentent une tentative, une tentative d’écrit, comme c’est suffisamment marqué par ceci que ça aboutit à des graphes. L’ennui, c’est que, c’est que les gens qui prétendent me commenter partent tout de suite des graphes. Ils ont tort, les graphes ne sont compréhensibles qu’en fonction, je dirai, du moindre effet de style des dits Ecrits, qui en sont en quelque sorte les marches d’accès. Moyennant quoi l’écrit, l’écrit repris à soi tout seul, qu’il s’agisse de tel ou tel schéma, celui qu’on appelle L ou n’importe quoi, ou du grand graphe lui-même, présente l’occasion de toutes sortes de malentendus. C’est d’une parole qu’il s’agit, en tant bien sûr et pourquoi, qu’elle tend à frayer la voie à ces graphes qu’il s’agit, mais il convient de ne pas oublier cette parole, pour la raison qu’elle est celle même qui se réfléchit de la règle analytique qui est comme vous le savez: parlez, parlez, pariez [?], il suffit que vous paroliez, voilà la boîte d’où sortent tous les dons du langage, c’est une boîte de Pandore ».
La fonction du graphe du désir par rapport à ce lieu de l’Autre qui est « la maison de la vérité »
Par contre, il souligne inversement le fait que ce n’est que par l’écrit, même s’il est second par rapport à la parole, que peut être interrogée ce qu’il appelle la dimension – la dit-mension de la vérité. Pour spécifier ce qu’est cette vérité dans le champ analytique, il forge un néologisme, jouant, à une lettre près, de la proximité de ces deux mots, la dimension et la « demansion ». L’écrit a pour fonction d’interroger la dimension de la vérité, de la vérité en sa demeure, demeure qui est aussi le Lieu de l’Autre : « sans l’écrit, il n’est d’aucune façon possible de revenir questionner ce qui résulte au premier chef de l’effet de langage comme tel, autrement dit de l’ordre symbolique, c’est à savoir la dimension, pour vous faire plaisir, mais vous savez que j’ai introduit le terme de demansion, la demansion, la résidence, le lieu de l’Autre de la vérité. Je sais que cette demansion a fait question pour certains, les échos m’en sont revenus, eh bien! si demansion est en effet un terme, un terme nouveau que j’ai fabriqué et s’il n’a pas encore de sens, eh bien! ça veut dire que c’est à vous que ça revient de lui en donner un. Interroger la demansion de la vérité, de la vérité dans sa demeure, c’est quelque chose, là est le terme, la nouveauté de ce que j’introduis aujourd’hui, qui ne se fait que par l’écrit, et par l’écrit en tant que ceci, que, il n’est que de l’écrit que se constitue la logique. Voici ce que j’introduis en ce point de mon discours de cette année, il n’y a de question logique qu’à partir de l’écrit, en tant que l’écrit n’est justement pas le langage. Et c’est en cela que j’ai énoncé qu’il n’y a pas de métalangage, que l’écrit même en tant qu’il se distingue du langage est là pour nous montrer que, si c’est de l’écrit que s’interroge le langage, c’est justement en tant que l’écrit ne l’est pas, mais qu’il ne se construit, ne se fabrique que de sa référence au langage. » C’est dans cette référence qu’il a construit le graphe. Sur le graphe on peut s’apercevoir que cette maison de la vérité est en quelque sorte ouverte à tous vents, c’est ce dont témoigne cet énigmatique sigle qui se lit signifiant de grand A barré : comme lieu il n’est pas sûr, il n’est pas solide, il ne tient pas bien. Les murs de cette demeure sont fissurés, fragilisés, en partie écroulés, mais entre leurs pierres disjointes surgissent de beaux rejetons du désir, tels ces figuiers poussant résolument leurs racines entre les murs de vieilles bâtisses depuis longtemps abandonnées, en Provence. Ils permettent au promeneur une belle cueillette de fruits. Selon le dicton, celui-ci est allé cueillir des figues chez l’Oncle Sauve-t-y, car c’est de la maraude même si aucun propriétaire n’est plus là pour vous poursuivre de son baton. La maraude du désir, je dois dire que la métaphore me plaît bien et encore plus, lorsqu’une fois inventée, si on inverse les termes de la maraude du désir, de son chapardage du désir de l’Autre, c’est désormais le désir, le sien propre, qui est en maraude avec la formule du fantasme . « D’un discours qui ne serait pas du semblant » Leçon 4, 17février 1971