Parmi toutes les manifestations de l’inconscient, celles des rêves, des symptômes et des traits d’esprit, comment peut-on définir l’Hystérie?
Il est bien certain que quand on traite une femme d’hystérique ce n’est pas un compliment. C’est plutôt de l’ordre de l’injure.
C’est pour réhabiliter l’hystérie, lui redonner ses titres de noblesse que j’ai choisi, dans l’un de mes premiers livres, ce terme d’éloge à son sujet. « Eloge de l’hystérie », et d’ailleurs en mettant, pour une fois, à l’encontre de toutes les idées reçues, cette hystérie du côté du masculin. Son titre complet étant « Eloge de l’hystérie masculine » avec comme sous-titre “sa fonction secrète dans les renaissances de la psychanalyse”
C’est un renversement qui est très utile, car, du coup, les analystes qui se sont toujours beaucoup intéressé aux femmes hystériques sont mis, à leur tour, sur la sellette, interrogés sur leur propre hystérie, sur leurs symptômes et donc sur leur désir inconscient.
L’hystérie je la définirai donc comme une aptitude humaine fort répandue, celle de pouvoir traduire les douleurs psychiques intolérables en douleurs corporelles.
C’est Madame Cécilia M., une mystérieuse héroïne des Études sur l’hystérie, qui a donné à Freud le secret de fabrication du symptôme hystérique.
Freud devait admirer beaucoup cette femme. Il l’appelait en effet Sa Prima Donna et son seul Maître en hystérie. Elle lui a donc appris que l’hystérique redonne toujours à des locutions verbales les plus ordinaires, les plus utilisées, si ce n’est les plus usées, leur sens premier, leur sens d’origine.
En voici un florilège: “ça m’a fait battre le coeur”
“ J’en ai eu froid dans le dos »
“J’en ai le souffle coupé”.
“J’ai été clouée sur place” – “les bras m’en sont tombés” – “ j’en ai plein le dos”.
Mais aussi “ Ça me fait vraiment mal au cœur” ou encore “Qu’est-ce que ça me fait chier”.
C’est donc avec toutes ces expressions verbales que l’hystérique fabrique ses symptômes corporels : des palpitations, des vomissements, des diarrhées, des paralysies, des douleurs de dos et bien d’autres choses encore.
Avec ce que je vous ai dit du symptôme hystérique, il me semble que je peux maintenant vous décrire ce que je compte mettre sous ce titre « Eloge de l’hystérie masculine ».
Elle va en effet nous permettre de démontrer comment la psychanalyse ne peut se transmettre que si chaque psychanalyste renouvelle l’expérience de Freud et réinvente la psychanalyse pour son propre compte à partir de ce qu’il a appris dans sa propre analyse.
Ceci mérite encore quelques explications : si vous vous intéressez aux mathématiques, vous suivrez des cours, vous lirez des livres de mathématiques et si vous êtes doué, vous pourrez devenir mathématicien.
Si vous vous intéressez à la psychanalyse, vous pourrez également suivre un enseignement, lire jusqu’à la lie toute la littérature analytique, vous deviendrez sans nul doute très savant en psychanalyse mais pour autant vous ne pourrez pas devenir psychanalyste.
La psychanalyse est plus proche de l’artisanat que de la science, elle est un savoir faire avec l’inconscient. Tout comme le maçon doit savoir se servir de sa truelle, l’analyste doit apprendre, au cours de sa propre analyse, à se servir du seul instrument dont il dispose, son propre inconscient. C’est en effet avec son aide qu’il pourra aider ses analysants à déchiffrer leurs rêves et leurs symptômes. .
Il faudrait donc arriver à démontrer comment chaque psychanalyste réinvente, remet la psychanalyse au monde avec ses propres fantasmes de grossesse qui s’expriment toujours par un symptôme hystérique.
Je vous donne tout de suite un exemple de ces fantasmes de grossesse, avec celui de l’Homme aux loups, l’un des plus célèbres cas décrits par Freud dans les cinq psychanalyses.
Je ne vais pas bien sûr vous raconter toute son histoire mais juste vous décrire son symptôme hystérique.
Son désir d’être aimé du père et d’en recevoir un enfant se manifestait par un symptôme intestinal : Il souffrait d’une constipation opiniâtre qui ne cédait que lorsque un homme, son valet de chambre, lui administrait un lavement. Lorsque il était ainsi délivré de cet enfant, un enfant un peu particulier, il revenait à la vie, il se sentait renaître.
Ces fantasmes de grossesse des hommes peuvent paraître bien surprenants pour ne pas dire choquants pourtant ils sont connus de longue date.
Souvenez-vous du mythe d’Adam donnant naissance à Eve. J’en connais au moins trois représentations différentes que j’ai trouvées au cours de nos voyages, l’une à Venise, dans le narthex de la basilique Saint Marc, c’est une mosaïque, l’autre à San Geminiano, une fresque, et la troisième en Espagne, à Gérone. C’est la plus ancienne. Cette naissance d’Eve est représentée sur une tapisserie du 11 siècle.
Nous pouvons interpréter ce mythe non seulement comme la réalisation d’un fantasme de grossesse d’Adam, il accouche d’Eve mais aussi comme la première césarienne de l’humanité pratiquée par Dieu lui-même.
Si nous quittons la Bible pour l’antiquité grecque, nous retrouvons un autre fantasme de grossesse tout aussi beau, celui de Jupiter donnant naissance à Dionysos.
Vous connaissez tous cette expression : “celui-là il se croit né de la cuisse de Jupiter”. C’était ce qui était arrivé pour de bon à Dionysos…
Son père, Jupiter était donc tombé amoureux- ça lui arrivait souvent- d’une belle mortelle Sémélé. Celle-ci attendait donc un enfant de lui. Mais au cours de sa grossesse, elle mourut d’un coup de foudre, tuée par son amant. Preuve s’il en est qu’il ne fait pas bon vivre en compagnie des Dieux.
Jupiter eut tout de même le temps de sauver son fils, de l’arracher à la mort et pour mener cette grossesse jusque à son terme, il le mit à l’abri dans sa cuisse. Il referma le tout avec des agrafes d’or. Quelques mois après c’est donc lui et non pas sa mère qui lui donne naissance.
Jupiter est donc le premier dieu enceint de l’humanité, le modèle de tous les hommes hystériques, ou de tous les hommes qui ont toujours en eux une petite parcelle d’hystérie, une part de féminité.
Vous n’avez peut-être pas prêté attention au fait que Jupiter avait sauvé Dionysos.
Ce verbe sauver est en effet important. Dans l’analyse, les fantasmes de grossesse de l’analysant et de l’analyste s’expriment avec l’aide de ce verbe, sous forme de fantasmes de sauvetage.
L’analysant veut être sauvé – guéri par son analyste. De même, l’analyste peut vouloir sauver guérir son analysant.
C’est là que la situation peut devenir fort périlleuse car pour l’inconscient, quand un homme sauve une femme, il lui donne un enfant. De même, quand une femme sauve un enfant de la noyade, comme la fille de Pharaon avait sauvé Moïse, elle le met au monde. Elle est sa mère.
C’est donc important que l’analyste soit un peu au clair quant à ses propres fantasmes de sauvetage et qu’il sache donc où il en est de son désir de guérir ses analysants.
Pour vous en donner une idée, je vais vous raconter un rêve qui a été fait par une analyste, par une femme.
Elle se trouve sur une plage de l’Atlantique. Soudain deux ou trois grosses vagues se forment. Elle raconte : je me précipite pour sauver de nombreux enfants entrain de se noyer. A côté de moi, il y a des parents mais qui ne se font aucun souci pour leurs enfants. Je tente de sauver leur dernier enfant, mais pour sauver ma propre vie, je le laisse échapper. J’essaie de l’attraper avec une sorte de boite mais la boite est vide. Les parents m’engueulent. Je leur réponds qu’après tout ce sont eux les parents.
Je ne sais pas grand-chose de ce rêve et je ne peux l’analyser dans toute sa singularité sans l’appui de la rêveuse.
Cependant il est lisible en tant qu’il exprime un typique fantasme de sauvetage. La rêveuse met au monde de très nombreux enfants, elle en sauve beaucoup.
Sans doute, dans l’institution où elle travaille en tant qu’analyste, elle doit également sauver- guérir de nombreux enfants.
Par ce rêve elle exprime tout à la fois son désir d’être mère de nombreux enfants et d’être analyste. Mais il est déjà aussi, par son interprétation même une façon de prendre du recul par rapport à ses analysants, de les affranchir en quelque sorte de son propre désir.
Mais ce rêve est également intéressant à un autre titre. La veille, cette jeune femme avait assisté à une réunion de travail au cours de laquelle j’avais justement parlé de l’importance de ces fantasmes de sauvetage pour les réinventions de la psychanalyse.
Par son rêve de la nuit, elle témoigne de ce qu’elle a entendu de mon travail .
Mais elle démontre aussi en acte comment peut s’effectuer la transmission de la psychanalyse, uniquement d’inconscient à inconscient.
Cette rencontre d’inconscient à inconscient, au-delà de tous les savoirs constitués, au-delà de toutes les savantes constructions théoriques, c’est ce qui intéresse surtout les psychanalystes. Ils y trouvent en effet confirmation de ce qu’ils ont très péniblement élaboré au cours de leur réinvention de la psychanalyse.
Mon livre « Eloge de l’hystérie masculine , sa fonction secrète dans les renaissances de la psychanalyse est paru en janvier 2000 chez L »Harmattan.