Dans une lettre adressée à Fliess, au moment même où il invente, pas à pas, la psychanalyse, Freud pose à la fois les similitudes et les différences entre les rêves et les symptômes : « Ce n’est pas seulement le rêve qui est réalisation de désir mais aussi l’accès hystérique… je crois savoir maintenant par quoi se distingue le rêve du symptôme qui s’institue à l’état de veille. Puisque le rêve est maintenu loin de la réalité, il lui suffit d’être la réalisation de désir d’une pensée refoulée. Mais le symptôme, lui mêlé à la vie, doit être autre chose : la réalisation de désir de la pensée refoulante. Un symptôme apparaît là où la pensée refoulée et la pensée refoulante peuvent coïncider dans une réalisation de désir… le symptôme représente la réalisation de deux désirs contradictoires. »[1]
Le symptôme d’un latiniste en herbe, que Freud décrit dans la foulée, illustre justement l’existence de ces deux désirs contradictoires qui collaborent à la formation du symptôme.
Freud écrit à son ami : « Sais-tu pourquoi notre ami E. rougit et transpire dès qu’il rencontre une certaine catégorie de personnes qu’il connaît surtout quand il les rencontre au théâtre ?
« Il a honte c’est vrai. Mais honte de quoi? ».
Il a honte d’un fantasme de défloration mais aussi de vengeance qui peut se traduire ainsi : « Dire que cette oie stupide s’imagine que j’ai honte devant elle ! Si seulement je l’avais dans mon lit, elle verrait si je la crains! »
Selon Lacan, c’est par la voie de la métaphore que se créent les liens entre le signifiant et le signifié. Dans l’ordre diachronique d’une phrase, donc son déroulement, « c’est dans la substitution du signifiant au signifiant que se produit un effet de signification qui est de poésie ou de création autrement dit de signification ». Les deux exemples princeps qu’il en donne, sont d’une part, ce vers de Victor Hugo, dans son poème « Booz endormi », « sa gerbe n’était ni avare, ni haineuse » ou encore ce vers si connu « L’amour est un caillou riant dans le soleil ».
Toutes les formations de l’inconscient relèvent de ce même mécanisme, les rêves, les symptômes, les lapsus, mais aussi ces belles formations langagières que sont les poèmes et les traits d’esprit.
Dans les faits, à propos de cet homme qui rougit devant les femmes surtout quand il les rencontre au théâtre, il est difficile de reconstituer les termes de la métaphore, de retrouver les signifiants qui se sont substitués l’un à l’autre pour former ce symptôme parce que justement Freud l’interprète dans l’autre sens, du signifié au signifiant, du contenu manifeste pourrait-on dire du symptôme à son contenu latent, si ces deux termes n’étaient pas exclusivement réservés à l’analyse du rêve. Mais ce n’est pas pour autant impossible car voici que Freud nous indique que la salle de théâtre est venue évoquer une salle de classe, où il avait eu une controverse avec son professeur de latin à propos de cette expression latine « operam dare ». A première vue on se demande pourquoi. Où était le problème? Je pense justement que c’est cette expression latine qui est à la base de sa métaphore symptomatique.
Il existe en effet deux mots latins très proches, l’un est au neutre, « opus, operis », et signifie l’oeuvre, la réalisation d’une œuvre, tandis que l’autre nom qui est au féminin « opera, operae » se traduit par la peine, le travail, la peine que l’on prend pour réaliser un travail. C’est donc autour de ces deux termes que devait avoir eu lieu le litige avec son professeur.
C’est là que de la salle de classe à la salle de théâtre, surgit une équivoque signifiante qui le fait rougir de honte, comme on dit jusqu’à la racine des cheveux. Quelle est donc cette équivoque ? Il se donne du mal, il travaille dur, il transpire, vulgairement, nous pourrions dire, en français, il besogne fantasmatiquement une femme. Peut-être s’est-t-il en un temps lointain, besogné lui-même.
Mais puisque le symptôme hystérique exprime toujours un double fantasme, un fantasme sexuel masculin et un fantasme sexuel féminin, nous pouvons retrouver cette composante féminine de son symptôme hystérique, avec cette œuvre qu’il pourrait mettre lui-même au monde, auquel il pourrait donner naissance. On dit bien d’une femme qu’elle s’est trouvée enceinte de ses œuvres. On le dit par exemple de la Vierge Marie qui s’est trouvée enceinte de par l’opération du Saint Esprit.
Mais pour que la description de la métaphore du symptôme que nous donne Lacan tienne il faudrait peut-être que nous rajoutions au texte de Freud, (le fait qu’il rougissait et transpirait en présence de femmes, lorsqu’il assistait à « une œuvre » théâtrale), Ces deux mots latins équivoques, de « opus » et de « opera » sont en effet eux qui créent la métaphore et son effet de signification.
Il doit être rare de nos jours de découvrir un symptôme fabriqué avec une formule latine celle de « operam dare », se donner du mal, s’échiner, puisque maintenant nous avons presque tous perdu notre latin.
Vous remarquerez que le symptôme de cet homme décrit les difficiles rapports d’un homme avec une femme et surtout le fait que le désir qui s’y exprime est un désir mis en suspens, non réalisé.
[1] – Naissance de la psychanalyse, p. 247.