Le moment est maintenant venu de vous parler de celle qui fut pour Freud une vrai Matahari venue des pays de l’inconscient, cette dénommée Cécilia M, celle qu’il appelait dans l’une de ses lettres à Fliess, « son seul maître es Hystérie ».
Alors que ce sont d’autres hystériques qui occupent le devant de la scène, parmi elles, Emma, Catharina ou Lucy, nous ne retrouvons sa présence discrète, mais pourtant essentielle, que dans quelques notes, et quelques pages, toujours donc un peu en marge de ces études sur l’Hystérie.
Il vaut pourtant la peine de la découvrir car Freud souligne le fait que de tous les cas qu’il a décrit, il a pu rassembler à partir de son histoire clinique, les preuves les plus convaincantes du mécanisme psychique des phénomènes hystériques.
Cécilia M souffrait de troubles hystériques depuis de très nombreuses années, troubles accompagnés de nombreuses hallucinations ainsi que de troubles du comportement qui pouvaient laisser penser qu’elle avait par moment perdu l’esprit. Nous sommes en 1898 et Breuer et Freud avait nommé cette forme particulière d’hystérie dont elle souffrait d’un nom savant « Psychose hystérique d’abolition ». Malgré cette forme particulièrement grave d’hystérie Freud reconnaît ses mérites et célèbre même ses louanges « C’est chez madame Cécilia M. que j’ai observé les plus beaux exemples de symbolisation et je puis dire qu’ils ont été les plus instructifs de tous les cas que j’ai traité ».
De fait ce que Cécilia donna à Freud ce fut le secret de fabrication du symptôme hystérique, avec ses deux ingrédients, d’une part, une grande complaisance somatique, de l’autre ce que Freud nomme « un emploi poussé de la symbolisation ».
Comme il nous l’indique, sa patiente avait des dispositions pour transformer ses perturbations psychiques en symptômes corporels, mais il remarque aussi qu’elle était « remarquablement douée pour les arts, dons très développés qui l’avaient amené à écrire de fort beaux poèmes ».
Ce que Cécilia a appris à Freud, c’est la façon dont elle écrivait sur son corps même, les expressions verbales les plus usuelles mais aussi les plus usées, en leur redonnant une nouvelle jeunesse. Elle fabriquait en effet ses symptômes à partir d’une régénération de leur sens . Pour illustrer son propos, Freud nous donne alors deux exemples de cette symbolisation qui utilise si bien les voies de la complaisance somatique : lorsque Cécilia avait quinze ans, elle gardait le lit sous la surveillance d’une grand-mère très sévère, elle fut tout à coup saisie d’une douleur térébrante entre les deux yeux. Sa grand-mère l’avait regardé d’une façon si perçante que ce regard avait pénétré en vrille dans son cerveau. Il indique aussi que Madame Cécilia M. avait souffert depuis de très nombreuses années d’une névralgie faciale, absolument rebelle à tout traitement, avant de venir se confier à Freud. Les dents ayant été incriminées comme cause de ses souffrances, les dentistes les lui avait arrachées mais sans résultat.
Freud au cours de ses séances d’hypnose, retrouva alors les multiples événements que sa patiente avait vécu comme autant d’offenses subies, et qu’elle exprimait corporellement comme autant de « coups reçus en plein visage ». On ne peut rêver plus bel exemple de ce saut dans le corporel qui caractérise le symptôme hystérique.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire à propos de Cécilia, l’une de ces toutes premières égéries de la découverte analytique, notamment sur ce que Freud avait appelé de ce terme énigmatique « Psychose hystérique d’abolition ». C’est peut-être en effet à cause d’elle que Freud se posait déjà la question des différences entre les délires hystériques et les délires psychotiques, et donc de la radicale différence de structure entre la névrose et la psychose.
Mais pour la prochaine fois, je vous parlerai plutôt des femmes analystes qui sont fort nombreuses à exercer ce métier. Lacan pensait qu’elles étaient des « psychanalystes-nées ». Pour quelles raisons le seraient-elles ? Cécilia M. ne nous en indiquerait-elle pas quelques pistes grâce à cette réhabilitation romanesque de l’hystérie.