les prémisses de la métaphore paternelle – au temps d’Aimée

Aimée avait attendu à la porte d’un théâtre une actrice célèbre à l’époque et avait tenté de la blesser avec un couteau acheté quelques jours avant dans une armurerie. Rapidement désarmée, d’abord incarcérée, elle fut ensuite hospitalisée à Sainte Anne où elle devint ainsi la célèbre Aimée de Lacan, celle dont l’histoire clinique sert de référence et de démonstration à la thèse de Lacan sur la paranoïa d’auto-punition. Elle alliait les trois formes de délire, délire de persécution, délire de grandeur, et érotomanie envers un personnage royal, comme le plus souvent à cette époque, l’élu de son cœur était le Prince de Galles. C’est là peut-être la seule allusion à la fonction paternelle que nous pouvons trouver dans ce texte de Lacan. Mais je le reprendrais plus loin.

On ne peut lire ce texte que dans un effet d’après coup de ce que Lacan élaborera beaucoup plus tard sur la structure de la psychose et notamment avec ce qu’il appellera le rejet, la forclusion d’un signifiant primordial, la forclusion du signifiant du père.

Le moment fécond du délire

Ainsi retrouvons nous déjà dans l’histoire d’Aimée, ce qu’il en est de ce « moment fécond du délire » celui où le sujet est pour la première fois confronté à ce signifiant qui pour lui n’a jamais été symbolisé, acquis.

Pour Aimée ce moment fécond est celui de sa première grossesse où donc elle rencontre l’absence de ce signifiant sous la forme du père de son enfant.

Aussitôt elle se met à délirer. Elle craint pour son enfant. Elle se sent persécutée : « Pourquoi m’en font-ils autant ? Ils veulent la mort de mon enfant. Si cet enfant ne vit pas, ils en seront responsables. »

Elle accouche d’une petite fille mais qui est mort-née.

Elle a un deuxième enfant qu’elle nourrit jusqu’à l’âge de quatorze mois et s’occupe de lui, mais elle envisage de partir aux états unis pour devenir célèbre et donc d’abandonner son enfant. Elle s’inquiète cependant beaucoup pour lui. « Je craignais beaucoup pour la vie de mon fils, écrit la malade ; s’il ne lui arrivait pas malheur maintenant, ce serait plus tard, à cause de moi, je serais une mère criminelle. » (p.163) De même elle dit avoir agressé l’actrice parce qu’on menaçait la vie de son enfant.

La sœur aînée et la mère

On ne trouve aucune trace évoquée du père d’Aimée, par contre Lacan met déjà beaucoup l’accent sur les liens étroits qu’elle a toujours maintenus avec sa mère. « Le lien affectif très intense qui a uni Aimée tout particulièrement à sa mère, nous semble devoir être mis en valeur. » Elles délirent à deux. Les voisins sont responsables de ce qui arrive à sa fille. Lacan indique qu’il précisera plus loin « la portée de la similarité du développement psychique de la mère et de la fille »

Huit mois après son mariage, « un événement décisif » survient dans la vie d’Aimée : sa sœur aînée vient vivre dans son foyer. (p.230) C’est elle son objet persécuteur premier et réel. Dans les faits, elle lui vole à la fois son mari et son fils. Elle se substitue à elle dans son foyer. Mais cette sœur est épargnée. Son délire s’éloigne de plus en plus d’elle, cherche de nouveaux objets.

« C’est avec le trauma moral de l’enfant né mort, qu’apparaît chez aimée la première systématisation du délire autour d’une personne à qui sont imputées toutes les persécutions qu’elle subit. La cristallisation du délire s’est effectuée sur une ancienne amie qui est devenue ainsi sa persécutrice, Melle C. de la N. Mais ainsi la sœur ainée qui est sa véritable prédatrice est épargnée. L’amie est un substitut de la sœur (p.233).

« Dès lors Aimée ne cessera de dériver sa haine sur des objets de plus en plus éloignés de son objet réel ; mais aussi de plus en plus difficiles à atteindre. p. 234» Le délire est « une réaction de fuite devant l’acte agressif ; de même le départ d’Aimée loin de la famille, de l’enfant qu’elle aime ».

Quelles traces du père ?

Donc nous ne trouvons aucune référence à la fonction paternelle et à ses défaillances éventuelles mais quelque chose qu’il met sous le compte des « anomalies des situations familiales :

« Nous avons montré par ailleurs de quel attachement exclusif à sa mère avait été marquée l’enfance de la malade. Cette mère, nous le savons, lui a rendu son affection ; ni les années, ni les « fautes de notre malade n’ont diminué son attachement. Elle est par ailleurs depuis plusieurs années en puissance de délire, et celui-ci a éclaté pleinement à propos des événements récents survenus à sa fille.

Ces faits valent la peine qu’on s’y attache et que nous posions le problème du rapport de la psychose avec la situation familiale infantile des malades.

Anomalies de situations familiales que les auteurs signalent dans toutes les observations sans y attacher plus d’importance. Lacan affirme que ces anomalies y sont toujours manifestes.« Education de l’enfant par un seul parent, le plus fréquemment par un parent du même sexe, qu’il s’agisse d’orphelinage ou de divorce ; situation fréquemment renforcée par un isolement social secondaire (éducation de la fille par la mère, suivie de célibat prolongé avec perpétuation de la vie en commun…. Il nous semble même qu’au conflit aigu et manifeste entre les parents correspondaient les rares cas de délire paranoïaque précoce que nous ayons vu, à savoir chez deux jeunes garçons de quatorze et seize ans. : délire nettement agressif et revendicateur chez le plus jeune, délire d’interprétation typique chez le plus âgé. Au défaut d’un des parents répondaient au contraire des délires plus tardifs et plus dissociés ».

Quelques pistes à exploiter

Si nous ne pouvons retrouver dans ce texte premier de Lacan ce qu’il avancera plus tard de l’importance de ce signifiant du Nom-du-père, que ne pouvons-nous pas au moins en repérer quelques éléments annonciateurs et les repérer dans un effet d’après-coup de ce que Lacan avancera beaucoup plus tard, un fois devenu psychanalyste ?

1 – Nous avons déjà repéré le moment dit fécond du délire d’Aimée au moment de sa première grossesse. Cela est donc déjà un point d’appui.

2 – Un autre point qui est à reprendre c’est le délire érotomaniaque comme étant une tentative de remédier à cette fonction paternelle qui lui fait défaut. Un homme qu’elle peut appeler à la rescousse, tel est l’objet du postulat érotomaniaque.

3 – Mais surtout ce qui mérite attention c’est une note que Lacan consacre à « une perversion de l’instinct maternel », perversion que l’on peut justement reprendre à la lumière de ce qu’il dit de la fonction du père à l’un des temps de l’Oedipe, celui ou non seulement le père doit chasser l’enfant de sa position d’objet phallique de la mère, mais aussi doit interdire à la mère « de réintégrer son produit », autrement dit de le bouffer.

Je développerai ces deux derniers points bientôt.

( Le tableau est de Matemma)

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