A la suite de ce rêve dit d’impatience, celui de voir l’homme que cette femme aimait au cours de l’enterrement de l’enfant de sa soeur, Freud ne nous raconte, cette fois-ci qu’un petit fragment de rêve de l’une de ses analysantes où il s’agit à nouveau de la mort d’en enfant.
En voici le texte :
« Cette dame avait l’impression, dans le contexte d’un rêve assez long, qu’elle voyait sa fille unique de quinze ans, morte, couchée là devant elle, dans une boite ».
Il s’agit bien là d’une image, « une image onirique ». Freud la décrit même comme une sorte d’apparition. Elle rend bien compte de ce pourquoi il qualifie le rêve de rébus. C’est une image qu’il convient de déchiffrer, de mettre en mots. Il s’agit d’en faire le récit.
Et ce qui va justement aider au déchiffrage de ce rêve, c’est le signifiant « boite ».
Freud poursuit en effet : « Elle avait en effet passablement envie de tirer de cette apparition une objection à la théorie de la satisfaction du désir, mais elle pressentait elle-même que le détail de la boite devait certainement désigner une voie vers une autre compréhension du rêve.
C’est ainsi que son analysante aborde tout ce travail signifiant autour de cette boite en passant de l’anglais Box à ses nombreuses traductions en allemand. Elle cite par exemple :
Schachtel : boite
Loge : loge, baignoire
Kasten : caisse, coffre
Ohrfeige : gifle (?)
Büchse : boite de conserve.
C’est ce dernier signifiant qui, en argot, désigne l’organe génital féminin qui amène Freud à interpréter l’enfant dans cette boite comme un « fruit du ventre maternel ». Rien d’étonnant à cela : dans la célèbre prière catholique, celle du « je vous salue Marie », Jésus est bien lui aussi qualifié de « fruit de vos entrailles ». Dans l’inconscient, tout se mélange.
Nous passons, dans l’interprétation de ce rêve, prestement, de l’imaginaire au symbolique, avec ce « fruit du ventre maternel ».
Or comme nous l’indique Lacan, l’interprétation de l’analyste se doit d’être non seulement du registre du symbolique mais aussi de l’ordre du réel, par quoi y accède-t-on dans ce rêve ?
On l’y trouve sous la forme de ce que Freud qualifiait de trauma, d’événement traumatique :
« Comme tant de jeunes femmes, elle n’avait été nullement heureuse de tomber enceinte et s’avoua plus d’une fois qu’elle désirait que l’enfant dépérisse et meure dans le ventre maternel ; Dans un accès de fureur, à la suite d’une scène violente avec son mari, elle s’était même violemment frappé le ventre avec les poings pour atteindre l’enfant qui s’y trouvait ».
On ne peut que se poser la question de savoir ce qui a pu réveiller un tel désir, au cours de cette analyse, ou au cours de sa vie.
Peut-être une lourde et même très lourde culpabilité pour avoir pu éprouver un tel rejet de cet enfant en lien avec le fait qu’il lui avait été donné par son mari. Il y avait aussi, sans doute, une telle opposition entre l’enfant refusé en début de grossesse et l’enfant aimé dès sa naissance, qu’elle ne pouvait qu’avoir refoulé un tel désir.
« Eclairée sur ce point, écrit Freud, elle ne nia plus désormais que cette image onirique correspondait effectivement à un désir émanant d’elle»
Je trouve ce rêve très beau, sous son apparente simplicité, parce que c’est en quelque sorte un condensé en une seule page de toute la théorie analytique concernant l’interprétation d’un rêve et avec, entre son contenu manifeste et son contenu latent, tout le jeu des signifiants autour de la boite et son accès au réel sous la forme de cet événement traumatique.
Cela m’a fait aussi penser avec cette boite, au thème des trois coffrets, avec ce qu’en dit Freud, comment, parmi les trois femmes qui comptent dans la vie d’un homme, après la mère et l’épouse, seule la silencieuse déesse de la mort, un jour, le recueillera dans ses bras.
Tout d’un coup, on se pose la question de savoir ce qu’il en est pour une femme ?Pour elle, ça ne coule plus de source, un homme y intervient, s’y intercale, mais pourtant une femme ne retourne-t-elle pas, elle aussi, vers cette terre mère ?
Je vais aller relire ce que dit Freud de ce thème des trois coffrets, avec ces trois métaux, deux précieux qui sont l’or, l’argent et le « vil », le plomb qui représente le silence de la mort.