L’ambiguïté de ces termes « vorstellungen » traduits en français par « représentations » est développée dans cette partie de la littérature sur le rêve qui a pour titre « Les particularités psychologiques du rêve ». Deux rêves de Maury nous emmènent en voyage et notamment sur l’île de Gilolo1 et servent à les cerner.
1 – La partie du texte qui suit décrit bien le fait que ces représentations du rêve sont tout d’abord des images visuelles : « Les auteurs dont je reproduis ici le point de vue se représentent la formation des rêves à peu près de la manière suivante : la somme des stimuli sensoriels agissant pendant le sommeil à partir des différentes sources mentionnées à un autre endroit éveillent d’abord dans le psychisme un certain nombre de représentations qui se présentent d’abord comme des hallucinations (lesquelles seraient plutôt pour Wundt des illusions en raison des de leur provenance de stimuli externes et internes ). Ces représentations se lient les unes aux autres selon les lois d’association bien connues, et éveillent de leur côté, selon les mêmes règles, une nouvelle série de représentations (d’images). »
Si nous reprenons, au titre d’exemple, les rêves dits de réveils, tels que nous les avons analysés dans le chapitre précédent, on peut dire, que sont venus se substituer à la sonnerie du réveil, une première série de représentations, le bruit d’une cloche au clocher d’une église, des clochettes accrochées aux harnais d’un cheval tirant un traîneau dans la neige, ou une pile d’assiettes échappées des mains d’une servante. Autour de la cloche, sont venues s’associer toutes les représentations d’un dimanche de fête au village. Autour des clochettes, une romantique promenade en traîneau, les occupants enveloppés chaudement dans des fourrures, est venue nourrir le rêve. Comme l’indique la parenthèse des « images » associée à ces représentations, nous pouvons tabler sur le fait que ces représentations sont de l’ordre de l’Imaginaire. Mais on peut dire aussi que la mise en scène du rêve est elle aussi imaginaire. C’est littéralement de l’ordre du théâtral sans doute même du tragique.
2 – Maintenant, on peut bien sûr se poser la question, à leur propos, de savoir où sont les dites « représentations de choses » que Lacan pose comme équivalentes aux signifiants2, par rapport à tout ce qui nous est dit du rêve.Il est impossible de le savoir, tant qu’on part de la causalité organique du rêve, de ces stimuli sensoriels, car ce qui manque radicalement dans ces approches c’est bel et bien la causalité psychique, l’ex-sistence de l’inconscient. Puisque c’est là qu’elles siègent, ces vorstellungen. Elles ne sont plus de l’ordre de l’Imaginaire, mais du Symbolique. Mais on peut aussi se poser la question de savoir si elle ne sont pas plutôt du Réel, car après tout, de l’inconscient, nous n’obtenons que des bribes, les bribes du symptôme ou du rêve.
Pouvons-nous déjà avoir une idée de ces représentations signifiantes au point où nous en sommes de notre lecture de Freud ? Oui, justement avec ces deux nouveaux rêves de Maury dont voici les deux textes.
Premier rêve
« Il a rêvé un jour qu’il entreprenait un pèlerinage à Jérusalem ou à La Mecque, après quoi, au terme de nombreuses aventures, il retrouvait chez le chimiste Pelletier, lequel après une conversation lui donnait une pelle en zinc, qui dans l’épisode onirique suivant devenait sa grande épée de bataille. »
Deuxième rêve
« Une autre fois, il marchait dans le rêve sur la grand-route et lisait les kilomètres sur les bornes, là-dessus il se retrouvait chez un épicier qui possédait une grande balance et, pour peser Maury, un homme posait des poids d’un kilo sur le plateau ; puis l’épicier lui disait : « Vous n’êtes pas à Paris, mais sur l’île de Gilolo. S’ensuivaient alors plusieurs images où il voyait la fleur dite lobélia, puis le général Lopez dont il avait vu quelques temps auparavant qu’il venait de mourir ; et finalement il se réveillait en train de jouer à une partie de loto. »
Si on se réfère aux trois temps du rêve : 1 – celui où on rêve pendant le temps du sommeil, ce qui est, à proprement parler, l’acte de rêver 2- celui où on fait le récit du rêve 3 – celui enfin où on essaie de l’interpréter, nous n’avons, de ces trois temps, que le récit de ces deux rêves, leur contenu manifeste. Mais on peut quand même se demander quelle est la fonction de ces mots isolés et repérés par Maury lui-même, au sein de ce récit?
Dans la mesure où ils ne figurent que dans le récit du rêve, dans son contenu manifeste, j’ai hésité un moment à les considérer comme des signifiants/ représentations de choses.
C’est la raison pour laquelle j’ai essayé d’en trouver une justification dans le fait qu’inscrits en italique, soit par Maury lui-même, il pouvait déjà être considérés comme faisant partie du contenu latent de son rêve ( et qu’on pouvait, par exemple, les inscrire sur la chaîne signifiante du haut du graphe), et donc les considérer comme des signifiants. Par contre si c’était par Freud qu’ils y avaient été mis, ils pouvaient faire partie d’un début d’interprétation ( C’est toujours ainsi qu’il met en évidence dans les textes des rêves, ces éléments déterminants).
Pour finir ce qui m’a aidé aussi à les considérer comme des signifiants, c’est d’abord de les avoir rapprochés de l’analyse de l’oubli du nom Signorelli (sauf que pour le rêve de Maury nous n’avons pas en notre possession les pensées inconscientes du rêve comme c’est le cas pour l’oubli de Signorelli).
Le deuxième argument est la petite note de Freud à propos des mots de ce rêve : » Nous accéderons ultérieurement au sens de ce genre de rêves remplis de mots comportant à l’initiale les mêmes lettres et les mêmes sonorités ». Là on n’est plus au niveau du visuel, des images, mais des lettres et des sons.
Et du coup j’en arrive à mon troisième argument celui-là imparable, il prend appui sur la célèbre formule de Lacan : « La lettre est l’essence du signifiant en tant qu’il se différencie du signe ».
Ainsi je me demandais si les lettres qui composent la série des mots de l’un des deux rêves, Gilolo, Loto et les autres, ne pouvaient pas être mises en relation avec les lettres de son nom propre, du nom de son père. C’était devant mon nez et je ne le voyais pas. C’est peut-être simplement le AU=O de Maury (Pour son premier rêve, avec les PEL, ce n’est pas déchiffrable pour nous).
Avec ces deux rêves nous pouvons donc mesurer l’ambiguïté de ces dénominations, « vorstellungen » en allemand et « représentations » en français. Mais c’est un exercice qui ne fait qu’ébaucher ce que Freud développera avec son grand rêve de l’injection faite à Irma.
1S.Freud, L’interprétation du rêve, p. 94, 95 de la traduction Lefebvre.
2 Se reporter notamment à la séance du 16 décembre 1959 de l’Éthique de la psychanalyse.