Comment des prouesses de l’analysant et de celles, plus modestes, du psychanalyste, s’assurent les réinventions de la psychanalyse
“Mon père, ce héros…” Cette évocation, née des grandiloquences de Victor Hugo, pourrait être celle de chaque femme hystérique. Son père est en effet toujours pour elle ce héros féminisé souvent vaincu dont elle partage, par identification, le triste destin. De connivence avec lui, complice de ses exploits, elle garde juste ce qu’il lui faut de distance nécessaire pour pouvoir s’en amuser. C’est ce qui la sauve.
Les premiers des héros au “pays des sept épouvantes”, au pays de la phobie
C’était l’enfance de l’humanité. Sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, l’antique cité d’Ourouk élevait à peine ses remparts que déjà les deux premiers héros de l’humanité, Enkidou et Gilgamesh, avaient vu le jour. Leurs hauts faits sont racontés avec l’aide des premières écritures sumériennes.
Nous apprenons que tous deux ont tué le gardien de la forêt des cèdres, Houmbaba, un monstre dont “le mugissement est celui du déluge” et ils ont ainsi pu pénétrer, premiers des héros, dans ce “pays des sept épouvantes”.
Ils ne peuvent qu’en tirer gloire et se faire un nom :
“ Ecoutez, anciens d’Ourouk, je veux, moi, Gilgamesh, voir celui dont on parle, celui dont le nom épouvante le pays, je veux le combattre dans la forêt des cèdres, je veux couper les cèdres et me faire un nom immortel. Je ferai entendre au pays les récits du fils d’Ourouk et le pays dira : “Qu’il est vaillant le fils d’Ourouk!”
Mais l’histoire ne s’arrête pas là, puisque Gilgamesh est non seulement accueilli en triomphe par toutes les jeunes filles de la cité mais est surtout choisi et sollicité par la grande déesse mère Ishtar :
“Viens, lui dit-elle, sois mon bien-aimé,
laisse-moi me réjouir du fruit de ton corps.
Sois mon époux, je serai ton épouse.
Je te donnerai un char de lapis-lazuli et d’or.
Tu l’attelleras des démons de la tempête.
Dans notre maison embaumée
de parfum de cèdre…
baiseront tes pieds, les rois,
les gouverneurs et les princes se prosterneront
devant toi en t’apportant, en tribut,
les fruits de la montagne
et les récoltes de la plaine…”
Mais tandis que Gilgamesh reçoit ainsi la récompense de ses exploits, Enkidou, son double, son frère, son ami et compagnon d’armes, est, lui, condamné par les dieux.
Dans un rêve prémonitoire que nous pouvons qualifier de premier rêve œdipien, son destin mortel lui est annoncé : “Annou disait à Enlil : “Parce qu’ils ont tué le taureau céleste, parce qu’ils ont tué Houmbaba et coupé les cèdres de la montagne, ils doivent mourir”.
Ainsi décrite il y a quatre millénaires, cette légende raconte déjà le double destin du héros, puni pour avoir obtenu les faveurs de sa mère et triomphé de son père.
Freud ne se réfère pas à cette épopée de Gilgamesh – peut-être n’avait-elle pas encore été déchiffrée sur ses si fragiles tablettes d’argile – mais dans une note des cinq psychanalyses, à propos du Petit Hans, il évoque une autre de ses anciennes légendes héroïques, celle du Roi de Babylone, Sargon et aborde alors les mythes de la naissance du héros : le petit Hans raconte “ Nous avons pris une grande caisse et là-dedans c’était plein de bébés. Ils étaient assis dans la baignoire93.” Freud note, au sujet de ce fantasme, que “caisse et baignoire sont pour lui des équivalents, des représentants de l’espace dans lequel se trouvent les enfants… la caisse est, bien entendu, le ventre maternel… Il en est de même du coffre, dans lequel tant de héros mythiques sont exposés, depuis le roi Sargon d’Agade.”
Déposés dans une corbeille, les héros sont souvent confiés aux eaux du fleuve
“Sargon, le roi puissant, le roi d’Agade, c’est moi… Ma mère me conçut et m’enfanta en cachette. Elle me plaça dans une corbeille de roseaux, en ferma l’ouverture avec de la poix et me déposa dans le fleuve qui point ne me noya… Akki, le puiseur d’eau, dans la bonté de son cœur, me tira hors du fleuve94.” Les caisses, les corbeilles, les coffres sont autant de représentations de l’organe génital féminin. Anna voyage dans la caisse de la cigogne et le mythe du Petit Hans rejoint donc tous les grands mythes de la naissance du héros, celui de Sargon, roi d’ Akkadie, ou de Cyrus, roi des Perses.
Mais il ne faut pas oublier que ces naissances ont lieu le plus souvent malgré le désir du père qui sait toujours, par la prophétie d’un devin, que cette naissance mettra sa couronne et sa vie même en danger. Dans une analyse, de tels fantasmes de naissance s’expriment sous la forme de fantasmes de sauvetage ou de guérison par l’analyste. Ils jouent de toutes les équivoques signifiantes du verbe sauver. Les quatre valences de ce verbe – sauver la mère / être sauvé par elle / sauver le père / être sauvé par lui – permettent de structurer, les uns par rapport aux autres, ces fantasmes de sauvetage.
Nous avions retrouvé, à propos du fantasme de grossesse du peintre Christophe Haitzmann, les différents sens que pouvait avoir ce verbe sauver dans le texte de Freud : sauver le père pouvait en effet être interprété comme un désir de l’épargner, de lui laisser la vie sauve et donc, comme l’envers d’une même étoffe, témoignait aussi du désir de le tuer. Être sauvé par lui exprimait le désir d’être son enfant, c’était donc une ordalie, une épreuve de paternité, mais aussi le désir d’être aimé de lui comme une femme et d’en avoir un enfant. Ce désir est donc exprimé par ce que Freud appelle fantasme de retour au ventre maternel pour y rencontrer le père dans un coït prénatal mais aussi dans un typique fantasme de grossesse aussi bien des hommes que des femmes.
Ce désir d’être sauvé par le père peut aussi s’exprimer, dans l’analyse, comme dans l’histoire de l’Homme aux loups, par un fantasme de guérison : ce n’était que s’il pouvait être aimé de Freud comme une femme et en recevoir un enfant qu’il pourrait enfin un jour guérir de sa névrose.
Mais c’est aussi autour de ce même fantasme que se met aussi éventuellement en scène le désir de guérir de l’analyste, son désir de sauver ses patients, de les mettre à nouveau au monde.
Les deux autres valences de ce verbe, sauver la mère et être sauvé par elle, peuvent s’exprimer, pour sa forme active, la sauver, dans un fantasme de prostitution et dans sa forme passive, être sauvé par elle, par un fantasme de renaissance : dans ce fantasme de prostitution s’y exprime le désir tout ce qu’il y de plus viril de lui faire ou de lui donner un enfant tandis que dans le fantasme de renaissance s’y maintient en clair le désir du névrosé, celui d’être, pour elle, son enfant-phallus, son bel objet phallique.
Nous pouvons donc inscrire sur un même schéma toutes les transformations de ce même fantasme de sauvetage et replacer dans ce même contexte, le fantasme de sauvetage de Dora, le fantasme des deux femmes – gigognes de l’Homme aux rats ainsi que le fantasme de renaissance, de retour au ventre maternel et de guérison de l’Homme aux loups.
Freud le héros
Rank a consacré tout un livre aux mythes concernant la naissance du héros. Mais tous les névrosés inventent les chansons de geste de leur névrose qui célèbrent leurs exploits. Ces exploits sont urinaires. C’est le temps du déluge et des inondations. L’un des plus beaux rêves de Freud, le rêve dit du W.C de campagne, illustre à merveille cette fonction du héros œdipien, toujours préféré de sa mère et mettant en danger dès sa naissance l’existence de son père. Dans ce rêve, Freud nous l’avoue, il se prend tout à la fois pour Gargantua pissant du haut des tours de Notre Dame et pour Hercule nettoyant les écuries d’Augias de la névrose par le seul pouvoir de ses Etudes sur l’hystérie.
Comme dans les associations de ce rêve, il évoque le temps où il suivait à Paris l’enseignement de Charcot, il laisse donc une trace incontestable de son ambivalence à l’égard du grand maître de l’hystérique : Freud le lui annonce, toutes ses brillantes thèses sur l’étiologie de l’hystérie seront emportées, balayées comme fétus de paille par les flots montants de la psychanalyse.
Je reprends le texte de ce rêve et quelques éléments de son interprétation pour en dégager la fonction si décisive du héros.
“Une colline; sur celle-ci quelque chose comme un banc très long avec au bout un grand trou. Le bord de ce trou est entièrement couvert de petits tas d’ordures plus ou moins grands, plus ou moins frais… J’urine sur le banc; un filet d’urine nettoie tout, les ordures se détachent facilement et tombent dans le trou…”
Freud avoue donc qu’il a tout de suite pensé à Hercule et aux écuries d’Augias que ce dernier avait nettoyées en détournant l’eau d’un fleuve. Il poursuit : Hercule, c’est moi. ”Le filet d’urine qui nettoie tout est sans nul doute de la mégalomanie. C’est ainsi que Gulliver, chez les Lilliputiens, avait éteint un grand incendie”, tandis que Gargantua avait noyé tous les Parisiens en pissant du haut des tours de Notre Dame.
Si nous rejoignons ici, avec ces flots urinaires, tous les grands mythes de la naissance du héros, il n’y a rien d’étonnant à cela car c’est un fait de structure : le héros, fils préféré de sa mère, est cependant abandonné dès sa naissance car une prédiction a annoncé qu’il mettrait en danger la vie de son père ou le destituerait de ses pouvoirs royaux.
Freud plus modestement dans son rêve, par l’invention de la psychanalyse, destituait Charcot de son savoir médical.
Des lettres brodées
Toujours l’enfant abandonné, l’enfant exposé, est enveloppé de linges précieux qui trahissent ses nobles origines. Des lettres brodées sur ces vêtements seront plus tard signes de reconnaissance, traces de sa filiation. Ainsi dans chacun de ces mythes, même si la première de ces interprétations concerne le meurtre du père, nous découvrons qu’il s’agit en fait d’ordalies, d’épreuves de paternité.
A chaque fois, ces épreuves remettent en scène la question que se pose le sujet, sa vraie question à savoir ce qu’il a été dans le désir de ses parents, s’il a ou non compté pour eux.
C’est une fonction essentielle de l’objet petit a, de l’enfant comme objet a, que nous approchons ainsi par le biais de cette fonction du héros et par ces fantasmes de sauvetage qui mettent en scène les mythes de sa naissance. Ces mythes nourrissent la névrose de tout un chacun. Freud leur donnait le nom de “roman familial”. Lacan l’appelait “mythe individuel du névrosé”.
Au cours d’une analyse, le sujet rejoue dans le transfert les éléments déterminants de sa névrose, remet en scène son mythe du héros. Il tente donc à nouveau d’être cet objet désiré par l’analyste mais il le redoute tout autant car il se retrouve alors à sa merci, sans aucun recours devant la violence de son désir. C’est là qu’il pénètre dans le pays de toutes les épouvantes. Le nom du père est donc appelé à la rescousse, au besoin sous la forme du monstre Houmbaba, crachant le feu et mugissant comme le déluge.
Ce nom du père, ou ce monstre de suppléance, a en effet pour fonction de chasser l’enfant, cet enfant qu’il est resté, de la place convoitée ou occupée, celle de l’objet métonymique de la mère, de le délivrer de cette emprise du désir de l’Autre, cause de son angoisse.
C’est sur l’interprétation de tous ces fantasmes de sauvetage où se cache le désir d’être désiré par l’Autre que prend appui ce que Lacan a appelé la castration symbolique du sujet, point terme de l’analyse.
Des chansons de geste de la névrose
Nous sommes tous des Tartarin de la névrose. Nous tentons tous de réaliser notre destin de héros œdipien. Freud pour rendre compte de cette fonction du héros a choisi ses références dans la tragédie grecque ancienne avec la passion du bouc Dionysos. Ce héros type peut mourir sans danger puisque, comme le Christ, il ne peut que renaître. Il meurt au début de l’hiver et renaît au printemps.
Lacan a porté cette fonction du héros à sa puissance seconde en la mathématisant avec la formule du fantasme : $ a mais surtout en établissant un lien entre l’acte analytique et l’acte tragique, il précise comment au terme de cet acte, il y a sur la scène, d’un côté le héros, en tant qu’objet a, voué à la mort tandis que le sujet s’y représente comme divisé entre le chœur des satyres et les spectateurs.
Gardons précieusement en réserve le fait que, sur cette scène analytique, l’objet petit a y est paradoxalement représenté par le psychanalyste et redonnons vie à cette fonction du héros en prenant appui sur le texte de Totem et tabou. Suivons pour cela un fil un peu inattendu, les liens du repas cannibalique et la communion chrétienne tels que Freud les développe dans le registre du cannibalisme.
Comment le Christ a porté à son paroxysme la fonction du héros
Aux origines de l’humanité, le père de la horde primitive fut non seulement tué mais mangé tout cru par ses fils. Ce premier acte de cannibalisme associé au meurtre du père inscrit donc, dès ce temps mythique, la fonction de l’objet petit a comme un objet oral.
Les repas totémiques, ainsi d’ailleurs que toutes les fêtes et tous les banquets célébrés en l’honneur des Dieux, quand ils eurent repris forme humaine, commémorent ce premier acte de cannibalisme. Mais dans la religion chrétienne, avec le sacrement de la communion, c’est le fils lui-même, le Christ, qui, à la place du père, devint objet de sacrifice. Selon les Saintes Écritures, il est en effet écrit : « Mangez, ceci est mon corps. Buvez, ceci est mon sang”.
Freud introduit donc de façon tout à fait surprenante cette fonction du héros dans la tragédie grecque à propos de ces survivances du cannibalisme, en rapprochant la passion du Christ de celle d’un bouc divin nommé Dionysos, premier héros des tragédies grecques: “Si ces célébrations des souffrances de l’objet du sacrifice, longtemps après celles du bouc Dionysos, ont retrouvé leur vigueur dans la passion du Christ, c’est peut-être parce que celui-ci a en effet porté à son paroxysme la fonction du héros, car ce personnage est censé sauver, une fois pour toutes, tous ses frères du péché originel, celui du meurtre du père.”
Sauve – qui – veut
Même si quelques Rastignac de la psychanalyse se vantent de tenir à merci l’objet a, il est quand même le plus souvent un objet de tourment pour les analystes. Il se définit en effet de son insaisissabilité. Mais les fantasmes de sauvetage peuvent en donner une approche efficace dans la mesure où ils permettent de nouer ensemble – et d’une façon serrée – la fonction du héros comme objet petit a et celle de l’enfant comme objet a, au moment même de leur interprétation, quand s’y révèle le désir d’être sauvé ou de sauver la mère.
Chacun, parvenu au terme d’une psychanalyse, doit avoir en effet réalisé, repéré “ce qu’il a été dans le désir de ses parents, s’il a été ou non désiré par eux”. Or cette question qu’il se posait de tout temps concernant leur désir s’exprimait justement par ou dans ces fantasmes de sauvetage.
Lorsque ceux-ci ont été interprétés, le sujet est alors placé devant un choix : “le sujet est appelé à renaître pour savoir ce qu’il désire”. Lacan utilise donc bien, lui aussi, ce même verbe “renaître”, cette renaissance, pour spécifier ce qui serait le terme vrai d’une analyse.
Par l’intermédiaire de ces fantasmes de grossesse qui soutiennent la chanson de geste de sa névrose, en prenant donc appui sur cette fonction du héros comme objet a, l’analyse peut être menée jusqu’à son terme à savoir la mise à nu du fantasme fondamental de l’analysant. Mais à partir de là, le sujet a désormais le choix. Il doit se décider : l’échéance qui pour lui se précise est celle de renoncer à être ce héros œdipien dans le désir parental et celle de renoncer, du même coup, à être cet objet de sacrifice offert sur les autels du père déifié pour apaiser sa culpabilité.
Cette difficile mais indispensable coupure, travail ultime de l’analyse
Cette coupure, cette séparation d’avec l’objet a, cette castration symbolique effectuée, un pas décisif est alors franchi non seulement pour l’analysant mais aussi pour la psychanalyse.
Car si les renaissances de la psychanalyse, ses successives réinventions par chaque psychanalyste dépendent des prouesses hystériques de l’analysant, ces dernières peuvent aussi la mettre en très grand danger. Une seule chose peut la sauver et donc permettre que la psychanalyse perdure : il est important, pour chaque analysant et pour la psychanalyse, que l’analyste sache avec un temps d’avance, celui de son analyse, où ses propres fantasmes de sauvetage l’ont déjà mené sur la voie de l’héroïsme quand au cœur même de son fantasme, s’est révélé pour lui “la faute tragique”, celle du meurtre du père.
“Après la bataille”
Dans ce poème célèbre, sans doute sans le vouloir et à son corps défendant, Victor Hugo participe à cette nécessaire et profonde remise en cause du père idéalisé. La grandiloquence de ses vers en témoigne :
“Mon père, ce héros au sourire si doux,
suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous,
pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
parcourait à cheval, le soir d’une bataille,
le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit…. »
Seule, une petite note de burlesque suggère ce qui se camoufle sous le dithyrambe : alors qu’il lui demandait pourtant à boire, “un espagnol de l’armée en déroute”, gisant blessé au milieu de ces morts, trouve quand même la force de tirer un coup de tromblon sur son sauveur et de faire ainsi tomber son chapeau. Mais le héros, restant à jamais magnanime, a du mal à abandonner son beau rôle puisque le poème s’achève sur ce vers : “Donne-lui tout de même à boire, dit mon père.”
Un vrai coup de Trafalgar
Freud, dans les associations de son rêve dit du W.C de campagne, de rêves en rêves et de notes en notes, nous parle, lui, d’un autre soir de bataille, celui de la bataille de Trafalgar. Ce triomphe maritime sur la flotte espagnole était si cher au cœur des Anglais qu’ils avaient fait graver sur une médaille cette phrase le célébrant : “Flavit et dissipati sunt”.
Pour célébrer, lui aussi, sa victoire, par cette nouvelle méthode que constitue la psychanalyse, Freud comptait utiliser, à son tour, cette épigraphe belliqueuse en exergue du chapitre des Études sur l’hystérie consacré à la thérapeutique des névroses102. Mais par une très amusante et surprenante erreur, l’inventeur de cette science de l’inconscient lui donna une toute autre fonction : le sujet de cette phrase latine manque en effet dans le texte de Freud. Il est remplacé par des pointillés “…flavit…”, “ il souffla et ils furent dispersés”.
Dans une petite note de “l’Interprétation des rêves”, il écrit pour se justifier : “Un biographe non sollicité … m’a reproché d’avoir omis le nom de Jéhovah de cette devise” et Freud prétend alors que le nom de Dieu était resté en grande partie caché dans les nuages.
Mais en fait, dans tout le contexte de cette petite note, il était question d’un concours d’un genre bien particulier, pour tout dire d’un concours de pets, concours raconté dans un roman d’Émile Zola, La Terre. En évoquant ce concours de pets, il utilise très pudiquement pour le décrire, selon le bon usage, le mot latin flatus. Littéralement flatus veut dire gaz et nous nous apercevons, à notre plus grande joie, que Freud remet, à sa façon, radicalement Dieu en cause, non seulement en faisant disparaître son nom mais surtout en livrant la flotte espagnole aux vents, aux gaz intestinaux du ventre paternel : le vent se lève et Dieu, après avoir pété, peut enfin se perdre dans les nuages. C’est, pour l’inventeur de la psychanalyse, une façon inédite et élégante de s’en débarrasser.
Ainsi la psychanalyse, en laissant soudain apparaître l’une des formes un peu inattendue de l’objet a, peut-elle devenir, à cause de la soudaine inspiration de son inventeur, non plus une quelconque religion de l’Être Suprême mais une “vraie religion du désir”.
Chaque analysant, en passe de devenir analyste, doit, lui aussi, avoir vécu son soir de bataille, certes pas un grand soir, mais peut-être une simple soirée, celle où il aura pu à son tour rejouer la tragi-comédie de son Œdipe mais en y célébrant, tout à la fois, la fin des héros et la déconfiture des Dieux. Alors, en cette fin de jour paisible, la psychanalyse peut renaître.
Extrait de mon livre paru chez L’Harmattan en 1997 : Éloge de l’hystérie masculine ; sa fonction secrète dans les renaissances de la psychanalyse.