En lisant le séminaire des Formations de l’inconscient, on peut réussir à reconstruire les trajets sur le graphe du désir des deux traits d’esprit que Lacan a emprunté à Freud, celui du « Famillionnaire » et celui du veau d’or qui n’est plus adoré car il est, de par la magie de son auditeur, devenu veau de boucherie.
Il faut toujours, pour qu’un trait d’esprit fasse rire, qu’il apporte une touche d’absurdité et de faute de logique : J’aime bien celui-ci inventé par Geluck : « Ce qu’on est arrivé à faire avec le téléphone sans fil, est-ce qu’on va le réussir un jour avec les haricots ? » Qu’y a-t-il en effet de commun entre ces deux fils à part le mot lui-même ?
On voit bien que c’est au niveau du code que s’effectue le changement de sens de ce fil et que c’est ce virement de la signification qui nous fait rire. Cependant, même si on peut mécaniquement leur faire suivre les trajets du veau d’or et du veau de boucherie, on ne voit pas trop ce qu’on gagne dans cette analyse à part cette sorte de forçage effectué entre les haricots verts et le téléphone. Il y a quand même un côté un peu trop dérisoire de ce gain de plaisir et on finit par se demander s’il est si réussi que cela. Mais on peut penser que ce qui fait son efficace c’est peut-être le rappel du fait que l’Autre est construit pareil que le sujet, qu’il a lui aussi des besoins et qu’éventuellement il lui arrive de manger des haricots verts qui se trouvent avoir plein de fils.
Ce serait donc une façon un peu ordinaire, prosaïque, d’introduire ce graphe bleu, ce graphe du désir de l’Autre, cet Autre qui, pour pouvoir entériner le trait d’esprit, doit être construit comme le sujet. Cet Autre en effet ne peut pas être un ordinateur, il doit être un être humain réel, de chair et de sang : il doit pouvoir s’étrangler avec les fils des haricots verts, tout comme il se prenait les pieds dans les fils de son téléphone. Maintenant il y a la WIFI mais heureusement les haricots ont gardé leurs fils !
A propos de ces fils de téléphone qui pouvaient toujours faire des nœuds si inextricables, je me suis soudain souvenue à propos de ce mot de Geluck du fait que, lors de ma première rencontre avec Lacan, pendant que j’essayais sans doute de façon fort embrouillée de lui dire pourquoi j’avais tellement besoin de faire une analyse et avec lui, comment pendant que je parlais, il désembrouillait lui fort patiemment et avec beaucoup d’attention les fils de son propre téléphone, comme s’il ne m’écoutait pas, alors que je le sentais pourtant fort attentif. Voilà jusqu’où peuvent mener les fils des haricots verts : aux toutes premières paroles de l’analyse. Dans l’après-coup, en y repensant, je me demande si le simple fait de suivre du regard ces gestes de désembrouillage effectués avec beaucoup d’application par Lacan ne me permettait pas déjà de lâcher le fil de mon discours, de le désarrimer de sa cohérence et ainsi de commencer à raconter n’importe quoi, c’est à dire l’essentiel.
Voici deux représentations de ce double graphe. L’une en superposition montre à quel point il peut être embrouillé, Il y a coïncidence entre les alpha et les gamma des deux graphes, pour que ces fils puissent passer de l’un à l’autre.
- Pour pouvoir être authentifié par l’Autre en tant que trait d’esprit, il faut en effet que, arrivé en ce lieu du code, le trait d’esprit passe par le graphe du désir de l’Autre, soit en quelque sorte adopté par lui, avant de faire retour sur le message, et donc donner, par son rire, reconnaissance de la validité de ce mot d’esprit. C’est ce graphe que Lacan a dessiné en bleu.
Dans ce second schéma, les deux graphes sont en voie de séparation et le graphe bleu est même en passe de remonter d’un cran pour devenir… graphe complet du sujet. Par ce graphe bleu qui vient chevaucher le graphe du désir du sujet pour constituer ce graphe complet, on saisit du regard, par exemple, le sens que prend cette formule de Lacan : « L’inconscient, c’est le discours de l’Autre ».
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Ce texte est un avant-goût de mon livre qui est un viens-avec moi du graphe du désir