Quand les termes deviennent trop usés à force d’avoir été répétés et qu’ils se vident de leur sens, que pouvons nous faire de chacun d’eux – la « passe », le « désêtre », l’analyste « comme objet a », la « traversée du fantasme » et la liste ne s’arrête pas là – pour leur rendre la fraîcheur d’une énonciation ? Si ce qui caractérise le dogmatisme c’est bien le fait que les énonciations d’un analyste sont devenues pour d’autres de simples énoncés, corpus théorique, savoir constitué, savoir asservi, maîtrisé qui donne l’illusion de pouvoir être enseigné, comment y échapper ?
Deux voies s’offrent peut-être à nous : soit redonner vie à ces paroles de Lacan en les remettant au plus juste dans leur contexte, un contexte élargi, car toute citation ne vaut que si elle est replacée dans le fil du discours où elle été énoncée. C’est là qu’elle peut retrouver son poids d’énonciation. Soit faire un détour par les textes d’un autre analyste ou un retour au texte de Freud, pour en faire une sorte d’approche latérale, tangeantielle.
C’est ce que j’ai essayé de faire à propos de la question de la fin de l’analyse en reprenant le texte de Freud sur la Gradiva de Jensen. Freud y pose en effet la question de ce que doit devenir l’amour de transfert à la fin d’une analyse. Il remarque que si Zoé et son amoureux un peu fou, peuvent filer le parfait amour, une fois le délire interprété, il ne peut en être question pour l’analysant et l’analyste. Freud affirme qu’ils doivent redevenir des étrangers l’un pour l’autre. Pour Lacan, ce qui était amour de transfert doit devenir « transfert de travail » et ce s’en expliquer plus. J’ai donc essayé de rendre compte de cette transformation un peu surprenante sous ce titre « que reste-t-il de nos amours ? »
Une autre série de questions se posent à propos de la fin de l’analyse, il est souhaitable de séparer des termes qui sont toujours associés, peut-être même confondus, par exemple le fait que la fin de l’analyse n’implique pas forcément le passage du psychanalysant au psychanalyste.
De même, à propos de ce que Lacan a appelé la passe, peut-être faudrait-t-il effectuer une séparation entre ce que Lacan a appelé la passe en tant que temps de passage de la position de psychanalysant à celui de psychanalyste et la passe en tant que procédure telle qu’elle avait été mise en place à l’Ecole freudienne pour tenter d’en recueillir le témoignage. Si on ne tient pas compte de ces deux acceptions du terme, on ne comprend pas cette remarque de Lacan « s’il y quelqu’un qui passe son temps à passer la passe, c’est bien moi ! » (2)
En tenant compte de ces deux sens, le passage de l’analysant à l’analyste et la procédure qui tentait d’en rendre compte, on peut ainsi renoncer à la procédure de la passe sans pour autant négliger ce temps de passage de l’analysant à l’analyste.
Un autre terme tout aussi important est toujours associé aux deux autres, c’est celui du « s’autoriser analyste ». Lui aussi a fait couler beaucoup d’encre. C’est sans nul doute à partir du repérage de ses différentes occurrences dans l’enseignement de Lacan que les termes de fin de l’analyse et passe peuvent s’expliciter le mieux.
Qu’est-ce que Lacan attendait de la passe ? Au cours du congrès de La Grande Motte, en Juin 1975, il en disait ceci :
« … c’est la question que je pose, à savoir qu’est-ce qui peut bien venir dans la boule de quelqu’un pour s’autoriser analyste?
J’ai voulu avoir des témoignages, naturellement je n’en ai eu aucun, des témoignages de comment ça se produisait.
Bien entendu c’est un échec complet cette passe.
Mais il faut dire que pour se constituer comme analyste il faut être drôlement mordu ; mordu par Freud principalement, c’est à dire croire à cette chose absolument folle qu’on appelle l’inconscient et que j’ai essayé de traduire par le « sujet supposé savoir ».
Il n’y a rien qui m’ennuie plus que les congrès, mais pas celui-ci, parce que chacun a apporté sa pauvre petite pierre à l’idée de la passe et que le résultat n’est pas plus éclairant dans un congrès que quand on voit des passants qui sont toujours ou bien déjà engagés dans cette profession d’analyste, – c’est pour ça que l’A.M.E, ça ne m’intéresse pas spécialement, que l’A.M.E. vienne témoigner, l’A.M.E. fait ça par habitude, – car c’est quand même ça qu’il faut voir : comment est-ce qu’il y a des gens qui croient aux analystes, qui viennent leur demander quelque chose ? C’est une histoire absolument folle.
Pourquoi viendrait-on demander à un analyste le tempérament de ses symptômes? Tout le monde en a, étant donné que tout le monde est névrosé, c’est pour ça qu’on appelle le symptôme, à l’occasion, névrotique… c’est là dessus que, en somme, nous attendons le témoignage de gens qui sont depuis peu de temps analystes : qu’est-ce qui peut bien leur venir à l’idée – c’est là que je pose la question – de s’autoriser d’être analystes ? » (1)
C’est cette question que nous pouvons nous poser à nouveau, d’autres aussi…